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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/92

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harka, où tous doivent accourir à la tête de leurs nouaïb, soit sur une convocation individuelle, c’est par correspondance que le makhzen traite d’affaires avec eux. S’il s’agit d’une question insignifiante, la lettre est apportée de la capitale par un des msakhrin ; l’envoi d’un mchaouri comporte déjà une missive plus importante ; dans un cas sérieux, on déplace même un des moualin-el-mekhala (gens du fusil) qui figurent, dans l’entourage du sultan, parmi les officiers de la couronne. Si l’on veut faire une tentative de conciliation, le grand vizir dépêche un secrétaire de sa beniqa ; s’il s’agit, au contraire, de donner un dernier avertissement, on envoie un caïd-er-raha avec quelques soldats, qui s’installent comme de véritables garnisaires. Tous les envoyés du makhzen sont porteurs d’un papier officiel, qui mentionne le motif de leur venue et le chiffre de la commission, — sokhra, — que devra leur payer l’intéressé. Si les affaires se compliquent, si la puissance du caïd devient trop dangereuse, ou sa résistance trop manifeste, il ne reste plus au makhzen qu’à employer les grands moyens : en pays soumis, il provoque des compétitions parmi les contribules du coupable, divise son territoire entre plusieurs caïds, le destitue ou l’emprisonne. Vis-à-vis des tribus qui frisent l’insoumission, il doit prendre son temps, attendre l’occasion propice, puis risquer une expédition militaire, qui, après avoir infligé un châtiment exemplaire au groupe récalcitrant, fera rentrer, du même coup, l’arriéré des impôts.

S’il n’est point de gouvernement dont l’organisme paraisse plus simple que celui du Maroc, il n’en est pas non plus dont le maniement soit plus compliqué. C’est un véritable groupement de petits États autonomes, à l’égard desquels le makhzen doit procéder, selon une diplomatie appropriée à chacun d’entre eux. Pour réussir dans sa tâche, il lui faut acquérir, par la concession de certains privilèges, le concours des principales influences ; concours militaire des tribus makhzen, concours administratif des caïds, concours religieux des chorfa et des zaouïas ; encore doit-il s’employer sans cesse à contenir ses associés privilégiés, de peur de se trouver quelque jour à leur merci. Si le makhzen demande aux tribus de satisfaire à quelques obligations limitées, c’est à seule fin d’assurer son existence, et son ambition ne va pas au delà de développer dans l’Empire un système fiscal et un système militaire.

Malgré son étendue, sa population et ses richesses naturelles,