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le Maroc est, financièrement, l’état le plus faible qui se puisse concevoir. Pour répondre aux usages locaux, le makhzen est obligé d’accepter, en nature, une part considérable des impôts, si bien qu’il est facilement à court de numéraire, tout en disposant d’un excès de ressources pour fournir la mouna ou des cadeaux. D’autre part, sauf pour la naïba, qui apparaît historiquement comme une conséquence de la conquête du pays par le groupe dominant, et qui constitue, d’ailleurs, une rentrée extraordinaire en vue de la dépense extraordinaire des expéditions militaires, il n’est pas loisible au makhzen d’établir à son gré de nouvelles taxes. Le pays soumis paie volontiers les deux impôts coraniques, l’achour et le zekkat, puisqu’ils résultent d’un devoir religieux. L’idée féodale le réconcilie avec l’obligation de la hédia, c’est-à-dire de l’hommage, en espèces et en nature, apporté par les vassaux au seigneur suzerain, à l’occasion des trois grandes fêtes religieuses. Les superstitions du Maghreb font également admettre la légitimité de ziaras, qu’apportent les caïds au chérif couronné, lors de leurs visites à la Cour, et qui reviennent, non point au Trésor public, mais à la bourse particulière des sultans. Le makhzen peut également toucher le revenu de ses immeubles, comme tout autre propriétaire foncier, et percevoir des droits de douane, parce qu’ils affectent le commerce étranger, sans peser directement sur les musulmans. Mais c’est à cela que se bornent les recettes légitimes de l’Etat et sa faculté d’imposer les gens. Les mostafad ou contributions indirectes, qui comportent aujourd’hui les droits de portes et de marchés, les monopoles du soufre, du kif et du tabac à priser, sont d’institution moderne, et la population ne s’y prête point sans difficultés. Quand, pour la première fois, au XVIIIe siècle, Sidi Mohammed-ben-Abdallah essaya d’établir le meks (c’est ainsi que l’on nomme tout impôt non coranique), en taxant, à Fez, les balances des marchés au beurre et aux huiles, — taxe bien minime, puisque son revenu annuel ne devait pas dépasser 3 000 metkals, — les Fasis crièrent à l’hérésie, et le sultan dut interroger les oulémas de la ville, quant à la légitimité de la taxation. Ceux-ci rendirent un fetoua, reconnaissant au souverain la faculté d’exiger des droits supplémentaires, s’il ne disposait pas de ressources suffisantes pour l’entretien de son armée : c’est en vertu de ce fetoua propice qu’un début timide de contributions indirectes et de monopoles a pu être tenté au Maroc.