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mécaniquement, ou se déploiera-t-elle, se développera-t-elle un jour en un tout organique, — an organisated whole, — comme les Américains eux-mêmes le souhaitent ? D’aussi pesantes masses que les démocraties contemporaines pourront-elles être soulevées sans levier ? L’éducation de ces démocraties serait-elle suffisante ? est-elle possible ? Toute institution politique n’a-t-elle pas toujours été, sera-t-elle toujours l’application d’une mécanique à la société ? La « double force d’intimidation sociale de la démocratie, » tirée des lois et de l’opinion, ne servira-t-elle jamais qu’à intimider les gens honnêtes et tranquilles, au bénéfice des « effrontés » qui brandissent « l’épouvantail de l’hétérodoxie politique ? » Ou, plus simplement, les braves gens se décideront-ils à être aussi hardis, aussi actifs, aussi intelligens que… les autres ? Y a-t-il des conditions du régime parlementaire et de la démocratie représentative, auxquelles rien ne puisse suppléer, en dehors desquelles il n’y ait que déformation, que caricature du régime parlementaire et de la démocratie, et quelles sont ces conditions ? La suppression des partis permanens et leur remplacement par des groupemens temporaires remédieraient-ils aux maux ou à quelques-uns des maux que nous avons signalés ? En France, particulièrement, et dans le moment où nous sommes, faudrait-il en finir avec de vieux partis qui depuis quinze ou vingt ans durent par-delà la mort, et en venir à des groupemens temporaires, fondés en vue d’un seul objet, d’un but prochain et défini, quitte à se renouveler, le but atteint, et à contracter de nouveau pour un nouvel objet ?

Cela fait beaucoup de questions, et ce sont de graves questions. Loin de chercher à les résoudre, nous ne voulons même pas les poser aujourd’hui. Mais, si l’on pouvait toutes les résumer en une, qui serait à peu près : Y a-t-il un moyen pour une démocratie de se passer de la Machine et du mécanicien ? alors je répondrais : Un seul moyen, peut-être. Je n’oserais dire que « peut-être, » car il convient d’être prudent ; mais — peut-être — y en a-t-il un : et c’est de « s’organiser. » La démocratie la moins « mécanisée » sera la démocratie la plus « organisée. »


CHARLES BENOIST.