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elle-même est chose transitoire, et destinée à disparaître un jour ? «Écartons ces mauvaises rêveries! » s’écrie l’homme qui vient de reprocher au christianisme l’inanité de ses espérances. Après quoi il recommande l’effort, la lutte, le renoncement à soi-même en faveur de l’humanité présente et future : trouvant fort mauvais qu’on lui rappelle ses récentes invectives contre des dogmes fondés sur la croyance anti-scientifique du libre arbitre et sur la répression des désirs individuels. Et il en est là de sa prédication lorsqu’un télégramme lui annonce la ruine d’une banque où il a mis toute sa fortune. Ah ! il faut voir la mine déconfite de ce prêtre de l’humanité, en présence de ce renoncement forcé à son bien-être propre ! Mais surtout il faut voir avec quelle joie infinie, et sans l’ombre de réserve, il accueille la nouvelle qui lui arrive dès l’instant suivant : quand on lui explique que la banque qui a fait faillite n’est point celle où il a lui-même placé son argent, mais une autre, d’un nom analogue, une banque populaire, et dont la faillite va entraîner la ruine d’une foulé de petites gens. Décidément cet humanitaire est loin d’être mûr encore pour une religion de l’humanité. Et je ne crois pas que, dans toute la série des romans satiriques de M. Mallock, on puisse rencontrer une figure plus ingénieusement dessinée que celle-là, d’un contour plus net, avec une signification à la fois plus simple et plus forte.

Voici maintenant d’autres figures, nous introduisant dans d’autres recoins de ce « temple » dont M. Mallock a entrepris de soulever le « voile » à notre intention. Un dimanche, Glanvîlle, profitant du congrès religieux qui doit se tenir dans la ville voisine, a invité quatre pasteurs anglicans à venir prêcher, tour à tour, dans le petit oratoire de sa maison de campagne. C’est d’abord un haut dignitaire, le vénérable évêque de Glastonbury. « Qu’importent, s’écrie celui-là, les prétentions d’une soi-disant science à expliquer l’origine des choses ? Quoi que fasse la science, il restera toujours trois mystères qu’elle n’expliquera point : le passage de la matière à la force, le passage de l’inorganique à la vie, et le passage de la vie à la pensée. Ces trois mystères suffisent pour justifier notre religion. Et qu’importent les prétentions de la critique à nier l’authenticité de nos livres sacrés! Certes, il y a maints passages de ces livres que nous ne pouvons plus accepter au sens littéral : mais qu’importe cela, puisque les dogmes essentiels, puisque des faits comme la Résurrection et l’Ascension du Sauveur, sont au-dessus de toute critique et demeurent pour servir de fondement à notre croyance ? Sans doute c’est chose regrettable que, pour le moment, l’Église d’Angleterre soit seule à détenir la