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mielleuse humilité habituelle, — elles nous appartiennent aussi bien qu’à la secte dont vous parlez ; ou plutôt elles sont à nous plus encore qu’à elle. Au reste, je veux bien admettre que nous adhérons à ses dogmes : mais ce contre quoi nous protesterons jusqu’à la mort, c’est l’absurde prétention de Rome à l’autorité. Je vous assure, monsieur Glanville, que, après l’autorité que prétendent avoir sur nous nos évêques, il n’y a rien que nous méprisions autant que l’autorité du Pape. » Seule, une coupe de Champagne parvient à calmer un peu l’irritation du fervent ritualiste. « Ah! dit-il, voilà qui rappelle le cher vieux temps de l’Université ! »


Qu’on ne croie pas, pourtant, que le nouveau roman de M. Mallock ne soit tout rempli que de ces traits de satire, ni que le but unique de l’auteur ait été de nous dépeindre l’état de désarroi où se trouve aujourd’hui l’Église Anglicane. Au contraire, M Mallock a, cette fois, visé plus haut encore que dans ses romans précédens, dont j’ai eu déjà l’occasion de signaler l’éminente portée[1]. Sous le couvert d’un roman satirique et mondain, son Voile du Temple est, en fin de compte, un grand dialogue philosophique, un peu à la façon de Berkeley, ou encore de Renan : un dialogue où, de proche en proche, surviennent de nouveaux interlocuteurs, lorsque le moment arrive de nous faire entendre telle ou telle opinion, incarnée en eux. Ainsi Brompton proche son sermon « éthique » quand l’auteur veut que nous connaissions l’effort du positivisme pour substituer une religion « positive » aux dogmes anciens; et Cosmo Brock, à son tour, pour divertissantes ou vivantes que soient toujours ses apparitions, n’apparaît toutefois qu’aux instans où le plan du dialogue appelle un exposé des affirmations ou des négations de l’évolutionnisme. A travers toute sorte de piquans épisodes, et même de péripéties souvent émouvantes, M. Mallock, d’un bout à l’autre de son livre, poursuit le développement d’une thèse dont nous savons, au reste, qu’elle doit lui tenir profondément au cœur : car plusieurs fois déjà, dans ses romans et ses ouvrages de pure théorie, il nous en a laissé entrevoir les lignes principales.

Cette thèse peut se résumer, à peu près comme suit. D’abord, c’est chose absolument certaine que la science et la religion sont, plus que jamais, en conflit, et que, chaque jour, dans ce conflit, la science remporte sur son vieil adversaire quelque avantage nouveau. En vain la religion s’efforce de défendre, l’une après l’autre, des positions dont

  1. Voyez la Revue du 15 juin 1899, Un roman satirique anglais.