naguère encore elle se croyait absolument sûre ; en vain elle fait à l’ennemi sa part. Ni la religion révélée, ni la religion naturelle, n’ont désormais un seul dogme que la science n’ait réussi à détruire ou à ébranler : et quiconque admet l’autorité de la science doit, du même coup, pour peu qu’il soit logique, renoncer non seulement à son catholicisme ou à son évangélisme, mais aux formes les plus « positives » de la religion, du culte de l’humanité, au culte de l’effort et de l’action morale. Oui ! et ce n’est pas chose moins certaine, d’autre part, que la science repose elle-même sur une série de mystères et de contradictions, et que, détruisant tout, elle est incapable de rien reconstruire. Depuis l’idéal de l’Évangile jusqu’à celui de Nietzsche, il n’y a pas un mode de vie qui soit possible, si, admettant l’autorité de la science, on la suit jusqu’au bout de ses conclusions. L’action et le rêve, le regret et l’espoir, l’amour et la beauté, tout cela nous est expressément défendu par une science qui, après nous avoir ôté toute croyance religieuse, nous dépouille encore de notre liberté, de notre personnalité, de notre vie même. De telle sorte que, entre les deux solutions opposées, — si nous n’avons pas le droit de songer à les concilier, — nous avons, en revanche, le droit, et aussi le devoir, de choisir. Nous avons le droit et le devoir de préférer, librement, à l’hypothèse qui nous tue celle qui nous fait vivre. Mais c’est à la condition de dénier à la science, en bloc, son autorité, de la tenir tout entière, comme faisaient déjà Parménide et Platon, pour la loi de « l’apparence, » et de ne chercher que dans notre cœur la loi, plus sacrée, de la vérité. Si bien que le conflit de la religion et de la science se réduit, en dernière analyse, à une question de psychologie, ou, plus proprement, d’épistémiologie : à la question de savoir jusqu’à quel point nous pouvons et devons nous en remettre à notre seule intelligence du soin de régler, de diriger, d’animer notre vie.
Telle est la thèse de M. Mallock : et peut-être celui-ci, dans son légitime orgueil de l’avoir aussi ingénieusement conçue et combinée, se fait-il un peu illusion sur sa nouveauté. Déjà Parménide et Platon, que je n’ai pu m’empêcher de citer tout à l’heure, nous ont préparés jadis à ne pas admettre sans réserve l’autorité de la science : pour ne rien dire de maîtres plus récens, depuis bon nombre de Pères de l’Église jusqu’aux derniers héritiers de Berkeley et de Schopenhauer. Et quant à la théorie d’un libre choix à faire entre deux hypothèses; Pascal, là-dessus, nous en a appris autant et plus que M. Mallock. Pour ingénieuse qu’elle soit, la doctrine de celui-ci ne saurait prétendre à être nouvelle : mais je ne saurais assez dire, après cela, combien elle