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beaucoup d’orateurs s’étaient succédé à la tribune, M. Grosjean, M. Buisson, M. Gauthier (de Clagny). La Chambre éprouvait un malaise manifeste. M. Chaumié ne s’est pas dérobé au débat. Il a donc parlé à son tour, et l’a fait avec un accent de sincérité qui a ému son auditoire. Jamais il n’avait été plus applaudi, ni plus justement.

Il a commencé par dire à quelles conditions un livre pouvait être mis par un instituteur entre les mains de ses élèves. S’il s’agit d’un instituteur libre, il choisit les livres qu’il veut, à l’exception de ceux que le Conseil supérieur de l’Instruction publique a interdits. Pour les instituteurs universitaires, voici la règle. Ces instituteurs se réunissent tous les ans, au mois de juillet, au chef-lieu de canton, et, après en avoir conféré entre eux, ils dressent la liste des ouvrages qui leur paraissent le mieux appropriés aux besoins de l’enseignement. C’est une liste de propositions. Elle est envoyée au chef-lieu du département où une commission, présidée par l’inspecteur d’académie et composée de membres de l’enseignement, notamment des directeurs et des directrices des écoles normales, la révise et la soumet en fin de compte à l’approbation du recteur. Il faut avouer que ce sont là des garanties sérieuses, et elles sont généralement efficaces. Les instituteurs peuvent se tromper dans le choix d’un livre, et on verra bientôt que cela leur arrive quelquefois ; mais au-dessus d’eux, il y a la commission départementale présidée par l’inspecteur d’académie, et au-dessus de celle-ci le recteur. Cependant, toutes ces précautions ne sont pas toujours suffisantes : des livres dangereux ont franchi ces trois digues successives pour arriver jusqu’à l’écolier. Alors intervient le ministre. Il n’a pas le droit d’interdire le livre à lui seul, ne fût-ce qu’à titre préventif, et cette dernière restriction est peut-être excessive : il le soumet à la section permanente du Conseil supérieur de l’Instruction publique, qui prononce en dernier ressort.

Nous donnons tous ces détails parce qu’ils sont intéressans en eux-mêmes, et peu connus du public. M. Chaumié n’a pas hésité à dire que, si le livre de M. Gustave Hervé avait été trouvé dans une école, il l’aurait déféré immédiatement au Conseil supérieur de l’Instruction publique. Il en a parlé comme nous venons de le faire nous-même. — C’est, a-t-il dit, un livre de polémique, et cela suffirait pour qu’il ne fût pas mis entre les mains des enfans ; mais c’est de plus un mauvais livre. — M. Chaumié a reproduit à la tribune le passage qui a été si souvent cité et où, parlant de l’assassinat du président Carnot, M. Hervé le qualifie d’acte « d’impatience de justice sociale. » Il a fait allusion à une des images qui illustrent le texte : on