Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

raisonnable d’en prendre, ne fait que m exciter à des travaux les plus divers, et je m’y livre pour m’étourdir, comme d’autres au jeu ou à la boisson. Je fais des articles, coup sur coup. Je me jette en plein cœur dans le gribouillage. Au moins, pendant ces courtes et fréquentes fièvres, le reste pour moi n’existe plus et je crois qu’on me couperait les pattes alors (comme aux rats en rut), que je ne m’en apercevrais pas.

« Averti sur le mal, cher ami, vous me serez très indulgent. La politique est déplorable ici : tout le mal vient du Roi, qui croit que la France ne doit avoir aucune politique extérieure. « La paix à tout prix[1], on m’accuse de vouloir cela, disait-il l’autre jour. Eh bien ! qu’ils touchent à Strasbourg, et puis l’on verra ! »

« Grande parole, digne de Louis XIV et de Richelieu. O historien, qu’en dites-vous ? — Et celle-ci encore : « Vous venez d’Alsace, M. M…, on y est dans les meilleures dispositions : à la bonne heure ! Allez, croyez-moi, l’Alsace vaut encore mieux que la Syrie. »

« Thiers, à qui on fait maintenant tant de reproches, a été trop confiant, trop bon enfant, trop peu machiavélique. Les préjugés constitutionnels nous tuent. Guizot accepte tout et s’en vante : « Personne n’est plus digne que lui à faire une reculade, » disait de lui Cousin ; Quand il y aura la République, ce qui pourrait bien nous arriver, je m’en irai aussitôt d’ici, et m’enterrerai dans un clos du canton où pourtant je n’ai pas été et ne serai point, hélas ! pasteur.

« Je voudrais avoir une occasion pour vous plus prochaine et plus solide que celle du mois de janvier. Je voudrais saluer mon filleul de quelque joujou. Embrassez-le et les chers aimés. Je baise les mains à Mme Olivier. A tous. Mme Olivier est-elle tout à fait bien ? Amitiés particulières à M. Urbain et remercie-mens touchés pour ses offres charmantes.

  1. Le 20 octobre de la même année, Antoine de Latour, qui était précepteur du Duc de Montpensier, écrivait à Ulric Guttinguer : «… Pendant que nous nous enfonçons sous ces sombres avenues de l’imagination, le canon semble vouloir recommencer la poésie de l’Empire, non celle de Lormian ou d’Arnault, mais celle de Napoléon, le seul poète de son temps. Aurons-nous la guerre ou la paix ? Mon ami, ni l’un ni l’autre, je le crains. L’Europe me rappelle en ce moment la scène des deux Ours dans l’Ours et le Pacha, mais lequel des deux est le véritable ours, et lequel a le plus peur de l’autre ? C’est ce que votre fils sait aussi bien que vous et moi. J’ai grand’peur que vous n’ayez trop raison et que nous n’entrions dans l’ère de barbarie. Cela vaudrait mieux que l’âge d’airain de la calomnie écrite. Après l’âge d’or, l’âge d’argent et l’âge de fer. » (Lettre communiquée par M. Gabriel Guttinguer.)