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s’attireraient forcément ainsi sa bienveillance. » Quoi de plus naturel de la part de M. Chabert que ce propos ? Ne se croyait-il pas très malin lui-même en faisant ce que, d’après lui, les Chartreux auraient dû faire ? M. Lagrave a pris la suggestion au sérieux : sans préjuger l’importance et encore moins la suite qui y serait donnée, il a cru de son devoir d’en faire part à M. Edgar Combes, avec lequel il était alors en rapports amicaux. Comment M. Edgar Combes a-t-il accueilli la chose ? Ici les versions diffèrent. D’après M. Lagrave, il se serait contenté de sourire sans se prononcer. M. Edgar Combes affirme, au contraire, qu’il a repoussé avec indignation ce qu’il considérait comme une proposition ferme, en ajoutant que celui qui la ferait à son père, après être entré dans son cabinet par la porte, en sortirait par la fenêtre. Mais il n’a lui-même jeté personne par la fenêtre. Il est resté en bonnes relations avec M. Lagrave, qu’il ne considérait pas, a-t-il dit, comme l’intermédiaire conscient et responsable d’une tentative de corruption caractérisée. Il est possible, en effet, que cette pensée ne soit née que plus tard dans son esprit, ou dans celui de M. le président du Conseil. Devant la commission d’enquête, on a vu M. Lagrave s’efforcer d’atténuer la gravité de sa démarche, et MM. Combes père et fils l’accentuer. Le premier se défendait d’avoir été l’agent, même indirect, d’une tentative criminelle ; mais les seconds avaient besoin que cette tentative eût existé pour se glorifier d’y avoir résisté, et se justifier ainsi d’avoir demandé le moins quand ils avaient déjà refusé le plus. Le dissentiment entre M. Lagrave et M. Edgar Combes est arrivé bientôt à un degré d’acuité qu’il était impossible de dépasser. « Vous mentez ! » a dit, à un moment, M. Lagrave ; à quoi M. Edgar Combes a répliqué : « Eh bien ! je vous dirai à mon tour que vous mentez ! » L’un des deux ment ; mais lequel ?

Il est un point, en tout cas, où nous sommes convaincus que M. Lagrave a dit la vérité. Quelque temps après cette affaire des deux mil bons à laquelle MM. Chabert et Lagrave avaient été mêlés dans des conditions restées confuses, mais secrètes, un scandale a éclaté, celui du million. Il ne s’agissait plus cette fois que d’un million. Les intermédiaires étaient différens, et l’ombre qui les couvre n’est pas encore dissipée ; peut-être ne le sera-t-elle jamais complètement ; mais l’accusation visait toujours M. Edgar Combes. D’où venait-elle ? D’un journaliste de Grenoble, M. Besson. C’est ce M. Besson que M. Edgar Combes aurait dû, selon nous, traduire en cour d’assises. Il ne l’a pas fait, et tout s’est borné à une instruction judiciaire, qui a été ouverte et fermée de la manière la plus étrange. M. le