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président du Conseil a d’ailleurs déclaré alors à la Chambre qu’à aucun prix il ne laisserait son fils aller en cour d’assises : il n’avait pas confiance dans cette juridiction. C’était pourtant la seule compétente et la seule devant laquelle la preuve était admise. On voulait cependant faire ou avoir l’air de faire quelque chose. Une plainte a été déposée contre X…, auteur présumé, mais innomé, d’une tentative d’escroquerie contre les Chartreux. Au cours de l’instruction, M. Combes a jugé utile que M. Lagrave témoignât en faveur de son fils comme témoin de moralité, et il le lui a demandé. N’avait-il pas été le confident de la première affaire, où la vertu de M. Edgar Combes avait brillé d’un si vif éclat ? La déposition de M. Lagrave a été décidée, sinon combinée au ministère de l’Intérieur. Toutefois une difficulté se présentait : M. Lagrave ne voulait à aucun prix livrer le nom de l’intermédiaire avec lequel il avait été en rapport, et il a déclaré, par la suite, que M. Combes l’avait autorisé à s’en abstenir. Mais M. Combes l’a nié. et même avec une extrême énergie. Énergie dépensée assez vainement ! Quand même M. Combes aurait admis au premier moment le silence de M. Lagrave, il n’y aurait pas eu grand mal à cela. Il pouvait croire que le nom de l’homme masqué n’était pas indispensable pour l’objet qu’il se proposait, et qui était seulement de faire apparaître le caractère moral de son fils. Quoi qu’il en soit, M. Lagrave, en déposant le lendemain, a refusé le nom qu’on lui demandait, et, quelques heures après, il est parti pour l’Amérique. Nous reviendrons sur sa déposition ; elle a été marquée par d’autres incidens curieux. Il suffit, pour l’instant, de retenir que M. Chabert n’a pas été nommé. Dans ces conditions, l’instruction ne pouvait plus marcher, et M. le procureur général s’est rendu chez le président du Conseil pour lui dire qu’elle serait close sans résultat.

Alors M. Trouillot, ministre du Commerce, a été invité à télégraphier à M. Lagrave en Amérique, pour lui demander le nom : il le fallait, on l’exigeait. A son arrivée à New-York, M. Lagrave a trouvé le télégramme, et a dû se soumettre. Il a envoyé le nom de M. Chabert, mais, en même temps, il priait son ministre de s’entendre avec M. Millerand, qu’il savait intéressé à ce que M. Chabert ne fût pas découvert. Cela fait, M. Lagrave a écrit deux lettres, conçues en termes à peu près identiques, l’une à M. Edgar Combes, l’autre à M. Millerand. Dans la première, il déplorait qu’on ne lui eût pas maintenu l’autorisation de tenir secret un nom aussi redoutable à prononcer que celui de M. Chabert, et il insistait, s’il en était temps encore, pour que la discrétion continuât. Dans la seconde, il se