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contentait de faire savoir à son ancien chef ce qu’il venait d’écrire à M. Edgar Combes. M. Milleraud a reçu sa lettre, et l’a produite devant la commission d’enquête. M. Edgar Combes a déclaré n’avoir jamais recula sienne, mais M. Lagrave a pu en fournir le brouillon. Il ressort de tout cela avec une clarté aveuglante que M. Lagrave, en toute confiance, en toute sincérité, s’était cru autorisé à ne pas mêler à sa déposition le nom de M. Chabert : sinon, il n’aurait pas écrit sa lettre à M. Millerand. L’évidence morale est absolue. Comment l’autorisation lui a-t-elle été donnée ? Il a raconté que la veille de sa comparution devant le juge d’instruction, M. Edgar Combes l’avait, à dix heures du soir, introduit dans le cabinet de son père, et que la chose s’était passée là. Une fois de plus M. le président du Conseil a nié. La scène a été émouvante. « Monsieur Combes, a dit M. Lagrave, vous êtes un vieillard ; vous n’avez plus rien à attendre dans ce monde ; vous sentez de quelle importance votre déclaration est pour moi ; je vous conjure de rappeler vos souvenirs. » Nous ne savons pas si M. Combes n’attend plus rien de ce monde ; mais il a déclaré que ses souvenirs étaient précis, et qu’ils contredisaient l’allégation de M. Lagrave. Dieu seul ici peut savoir où est la vérité.

Dans cette confrontation de M. Combes et de M. Lagrave, le fait sur lequel ils étaient interrogés a pris tout d’un coup, à cause de l’énergie avec laquelle il était affirmé par l’un et contesté par l’autre, une importance qu’il n’avait pas par lui-même. La scène a eu une allure dramatique, parce qu’on sentait de nouveau qu’un de ces deux hommes mentait sans qu’on pût dire lequel. Mais le mensonge, d’où qu’il vînt, portait sur un incident qui avait beaucoup perdu de son intérêt, puisque M. le président du Conseil, après avoir connu le nom de M. Chabert, l’avait gardé pour lui et ne l’avait pas livré au juge d’instruction. Qu’importait dès lors qu’il eût autorisé, ou non, chez M. Lagrave un silence qu’il avait observé lui-même, et qui avait fait avorter l’instruction ? M. Millerand avait parlé, M. Combes s’était lu. Quel argument, avait invoqué M. Millerand ? On ne nous l’a pas fait connaître. Mais, plus tard, M. Combes a dit à la commission d’enquête : « Si j’avais su que c’était pour le versement de 100 000 francs qu’on voulait taire le nom, je n’y aurais pas consenti. » Il y avait donc consenti. Alors, que devient son démenti à M. Lagrave ?

Revenons à la déposition de celui-ci. Le juge d’instruction qui l’interrogeait était M. de Vallès. A un moment de sa déposition, M. Edgar Combes, qui était dans une chambre à côté, est entré sans être appelé, et M. Lagrave a déclaré avoir été gêné pendant toute la