temps de paix ce qu’il instituait pour le cas d’une mobilisation. Il a bien dû reconnaître que, pour obtenir un passage rapide et ordonné du pied de paix au pied de guerre, il n’y avait d’autre moyen que de faire rejoindre au réserviste le corps stationné dans son voisinage le plus immédiat. Mais il a reculé, pour l’incorporation des recrues, devant le recrutement complètement régional, et, depuis vingt-cinq ans, suivant les moines erremens, on se borne à déplacer les jeunes soldats de 25 à 30 lieues. Il paraît que la discipline aurait été compromise si l’homme avait été incorporé chez lui ou près de chez lui, que l’esprit militaire eût été atteint par le contact incessant avec la famille, les amis, les concitoyens, que l’unité française eût été menacée, si on eût laissé s’organiser des régimens normands, angevins, limousins ou provençaux.
Ces argumens avaient, certes, leur valeur avec l’ancienne armée, qui demandait des hommes qui ne fussent plus que soldats, ne connaissant plus que le drapeau et la caserne, leurs camarades et leurs chefs ; le premier soin de l’autorité militaire devait être, alors, de « déraciner » l’homme, de le séparer d’un monde qui devait toujours lui être étranger sinon hostile.
Avec l’armée nouvelle, qui se rapproche tant de la milice nationale, ces argumens sont sans valeur. Il est évident que l’homme qui vient passer deux ans à la caserne, en trouvera le régime moins dur et le service moins pénible, si l’exil et la séparation complète d’avec tous les siens ne s’y joignent pas. Il est évident qu’il sera plus sensible aux punitions ou aux récompenses, si celles-ci lui sont données chez lui, au vu et au su de tous ceux qui le connaissent, si la réputation qu’il se fait au régiment, de bon ou de mauvais sujet, est une réputation qui doit le suivre dans la vie civile. Y a-t-il vraiment à craindre, dans la France actuelle, de voir reparaître un esprit provincial ? Ce n’est pas sérieux ; et, s’il en subsistait quelques traces, ce ne pourrait être que pour surexciter l’amour-propre et engendrer une espèce d’esprit de corps d’un nouveau genre, capable de suppléer en partie l’ancien esprit de corps, aujourd’hui à peu près disparu. En réalité, avec le service à très court terme le recrutement absolument régional serait une aide pour le commandement au lieu d’un obstacle, — politique à part, bien entendu, — grâce à la cohésion naturelle qui existe entre hommes qui ont vécu les uns près des autres, depuis leur enfance, et qui se savent