Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/370

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’avons-nous pas tous entendu des capitaines s’excuser de la médiocre tenue de leur troupe en disant : « Mais je n’ai pour sous-officiers et pour instructeurs qu’un tel et un tel ; vous savez ce qu’ils valent, mon colonel. » Jamais ils n’auraient tenu pareil langage si le colonel avait pu leur répondre : « Vous n’en êtes que plus coupables, car ces mauvais sous-officiers, c’est vous qui les avez choisis, c’est sur votre demande que je les ai nommés, et c’est vous-mêmes qui les avez instruits et formés. »

En réalité, le commandant de compagnie est le seul qui puisse juger en connaissance de cause de la valeur de ses hommes au point de vue du commandement à exercer, de l’autorité à leur confier. Seul il peut apprécier celui qui est vraiment digne et capable de recevoir des galons et de les porter avec honneur. Que le colonel, qui fait la nomination, contrôle le choix du commandant de compagnie, qu’il s’assure par lui-même, par une commission déléguée à cet effet, que la confiance du capitaine est bien placée, que l’homme justifie la faveur dont il est l’objet : par sa conduite, ses aptitudes physiques, son instruction militaire théorique, soit, c’est son devoir, mais rien de plus. Le choix des gradés d’une compagnie devrait être laissé à celui qui la commande et qui, par suite, est responsable de l’instruction et de la tenue matérielle et morale de ladite compagnie.

Cela paraît tellement simple et tellement naturel qu’on s’étonne d’avoir à défendre cette manière de faire. Laissés à eux-mêmes, les capitaines feraient passer au second plan l’instruction générale pour ne considérer que les qualités militaires, l’aptitude au commandement, le zèle, le dévouement, le bon exemple, la bonne conduite. Sauf en ce qui concerne les comptables, l’écriture, l’orthographe, le calcul ne primeraient plus toutes les autres qualités. On ne verrait plus en tête des « pelotons d’instruction » des instituteurs manqués, des élèves ecclésiastiques renvoyés, des clercs de notaire ou d’avoué, les fruits secs de tous nos baccalauréats modernes ou autres. Le grade serait donné à celui qui le mériterait par son caractère et son aptitude militaire seule, et ce serait le plus souvent à quelque gars solide de la campagne, ou bien au fils éveillé et malin d’un bon ouvrier de la ville. L’un et l’autre auront quitté l’école de bonne heure, mais l’un et l’autre auront contracté aussi l’habitude du travail, de la besogne bien faite, du devoir accompli.