me décider encore à y aller coucher, mais, au premier soir, il faudra franchir le seuil et sauter le pas. Voilà les ennuis qui sont mes excuses.
J’ai écrit à votre frère un mot sur M. Boulian : c’était inutile, mais ma lettre était partie. Je lui aurai du moins témoigné de ma bonne volonté et de mon dévoué souvenir.
Nous avons eu des orages nouveaux, des coups de pistolet, des velléités d’émeute ! notre société est de plus en plus malade. Et je n’entrevois plus de médecin. De près, au reste, cela ébranle moins qu’on ne croit de loin et qu’on ne devrait : on vit chacun de sa vie, au travers.
Je n’ai pas eu révélation de M. Espérandieu ; Lèbre est revenu de la campagne : il se plaint de vos rigueurs. Il va enfin quitter sa maison méthodiste[1]et vivre rue Saint-Jacques de la vie d’étudiant. Il le faut, il a besoin de secouer le Baader[2]et de s’en purger radicalement. Dites-le-lui sur tous les tons. Je le lui répéterai. Une grisette du voisinage le lui dirait bien mieux. Avez-vous lu Mathilde, roman en feuilleton dans la Presse par Eugène Sue ? Lèbre trouve cela beau, il me l’a dit en levant au ciel des yeux tristement mystiques, comme qui dirait : c’est bien abominable, mais c’est bien beau !
Ce doit n’être que faux, maniéré, corrompu. Pour le punir, je lui ai dit : « J’écrirai cela à Mme Olivier. »
Il est si charmant garçon qu’il nous faut tâcher de le lancer et de le mettre en pleine vie. Qu’en dites-vous, chère Madame ? Le narquois Olivier sourit.
Votre lettre était si aimable, si pleine des senteurs d’Eysins, des joies des enfans, des caquetages charmans de Mme Hare, que j’ai assisté à tout : ne me croyez jamais indifférent à de telles scènes. Si j’y reste muet, c’est que je boude contre mon cœur, c’est que je souffre de ne les aimer que de loin. J’étais né pour être pasteur en Arcadie.
Je lis, j’épelle en grec pour le moment les idylles de Théocrite. C’est vraiment beau et très peu capable de me guérir de ma passion pour les chevrettes des montagnes.
Comment feriez-vous donc pour aller camper en Allemagne et sur les bords du Rhin ? Est-ce possible ? Vous allez y faire encore de nouvelles connaissances, y gagner de nouveaux amis,