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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/419

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celle qui est postérieure au moment critique de Lorenzaccio, nous pouvait seul donner l’explication intégrale de ce caractère d’homme et de cet acte capital : voilà ce que nous offre l’ouvrage de M. Gauthiez, et voilà ce qu’à notre tour nous voudrions résumer ici pour l’édification du lecteur, et dans l’intérêt de quelques vérités qui peut-être dépassent le personnage lui-même de Lorenzaccio.


I

Sur les fonts du baptistère aux belles portes de la cathédrale de Florence fut ondoyé le jeudi vingt-troisième jour de mars 1514 (1513, au style florentin) Laurent-Jean-Baptiste, fils de Pierre-François, fils de Laurent de Médicis, né le 22 à midi, dans le quartier de Saint-Laurent. Cet enfant était le futur Lorenzaccio, que, dans la suite de ce récit, nous ne nommerons plus tout court que Lorenzino. Il venait au monde dans la maison même où il devait consommer, vingt-trois ans plus tard, le meurtre d’Alexandre.

Pierre-François, son père, tête faible et médiocre, à la fois dissipateur et avaricieux, processif et pusillanime, avait épousé une dame honnête, prude et bonne, Marie Soderini, qui lui donna plusieurs enfans, fils et filles, dont Lorenzino fut l’aîné. Ce n’est point de tels parens que celui-ci tiendra son allure, son tempérament, ses talens et ses goûts. Il sera un composé hétérogène, mais très reconnaissable, des qualités et des humeurs de ses grands-pères. En lui se vérifie la loi souvent observée de l’alternance dans la continuité des traits qui caractérisent une race. De son grand-père paternel, Lorenzino a hérité, avec le prénom, les dons de l’esprit et la perfection du corps. On sait que ce Laurent de Médicis, — dit le Grand et le Père des lettres, — était épris de renommée, magnifique et libéral, bel homme, d’un charme grave. Florence avait voulu ce bon politique pour chef de sa République ; et les poètes avaient nommé « leur doux honneur » ce lettré platonicien et bien disant. Avec lui s’était éteint, dans une boue infecte et sanglante, le flambeau des temps radieux de la Toscane. Il transmettait à Lorenzino son exemple, avec ce conseil pour légende : « Heureux celui qui naît sous un gouvernement populaire ! Infortuné celui à qui le ciel donne pour destinée de vivre à jamais sous un tyran, car cela ne s’appelle point