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vivre, mais mourir ! » — A l’opposé de ce caractère, le grand-père maternel de Lorenzino, Thomas Soderini, était un « homme de peu de courage, qui fuyait les périls volontiers, » irrésolu et opiniâtre, incertain de son but, pressé d’agir pourtant, en saisissant les moyens sans choix ni scrupules, et vite dégoûté de ses piètres résultats. Ne l’oublions pas, si nous voulons nous expliquer sans contrariété cette opinion unanime des contemporains que Lorenzino était lâche et indécis. Il jouera la couardise et la frivolité, comme Brutus le jeune avait joué la niaiserie, mais avec plus de naturel sans doute, ou du moins après s’être exercé longtemps et non sans peine à surmonter ce naturel.

Mais, pour remonter plus haut dans ses origines, qu’avaient été tous les Médicis, aïeux et parens de Lorenzino ? Des parvenus rapidement enrichis par l’usure et le trafic, presque aussitôt corrompus par l’excès étourdissant de leur fortune, enragés de puissance, vaniteux, glorieux, au sens populaire de ce mot ; et d’ailleurs, comme on ne parvient à rien sans mérites, élégans, avisés, osés, suppléant au sens de la mesure et de la beauté, que donnent seuls d’antiques traditions et usages de famille, par l’originalité, le tact prévenant et le faste de leurs goûts ; peu de bravoure, mais infiniment d’activité, d’adresse et de cruauté ; au demeurant, faits pour prendre appui sur la plèbe d’où ils sortaient, en la cajolant, en l’éblouissant, en la terrifiant au besoin, — magnifiques, corrupteurs et dominateurs ! Que l’un d’entre eux, et non un bâtard, mais un légitime, soit réduit, par sa pauvreté ou par l’intrigue des siens, à un rang subalterne : il vivra gonflé d’envie, exaspéré, complice de toutes les conjurations de mécontens et de déclassés, ennemi à mort de ceux qui l’humilient par l’ostentation de leur richesse, par la superbe de leurs usurpations. Cette race naturellement bilieuse des Médicis roulait par surcroît dans ses veines un sang de génération en génération plus chargé d’essences fines, amères et luxurieuses ; elle prédisposait sa descendance aux tares ordinaires de la dégénérescence, comme trop abondamment et trop délicatement nourrie d’une chère incendiaire, comme brûlée par les fièvres de l’ambition, comme énervée par l’inquiétude des coups de main, comme « avariée » enfin et adonnée aux vices contre nature. Lorenzino procède de tout cela. Contre les impulsions de tels instincts, que pourra son éducation ? En ce temps-là, l’influence