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l’échange de joyeuses paroles qui remplissent toute la maison comme d’un babillage d’oiseaux, sans cesse nous percevons un vague murmure douloureux et tragique, nous préparant à l’impression d’horreur des scènes qui vont suivre : soit que le chœur signale tout à coup quelque menu incident de présage funeste, ou qu’aux félicitations de sa mère et de ses sœurs, le marié, Aligi, réponde par un discours (on serait toujours tenté de dire : un chant) pénétré d’une étrange tristesse épouvantée.

Soudain s’élève, au dehors, un grand cri de détresse ; et l’on voit entrer une femme inconnue, le visage caché, qui demande abri. Elle raconte qu’une troupe de moissonneurs la poursuit, « des chiens furieux, affolés de soleil et de vin, qui veulent la prendre, elle, créature du Christ, malheureuse créature innocente de mal. » On l’accueille, on la fait asseoir ; et la plus jeune sœur d’Aligi, Ornella, va tendrement lui offrir une écuelle de vin. Mais voici que les « chiens furieux » accourent, frappent à la porte, réclament leur proie. Et comme Ornella leur reproche d’outrager une femme : « Une femme ? répondent-ils avec des rires de brutes. O Candia della Leonessa, sais-tu qui tu reçois dans ta maison, avec la jeune fiancée de ton fils ? C’est la fille du sorcier Jorio, la dévergondée Mila di Codra ! » Ce matin même, le vieux Lazaro, le mari de Candia, s’est battu dans la plaine avec Rainero dell’Arno. « Et pour qui ? Pour la fille de Jorio ! Or, Candia, garde-la dans ta maison, de telle sorte que ton mari la trouve, en rentrant, et la mette dans son lit ! » Suit une longue scène, d’une puissance dramatique vraiment admirable. En vain Mila se défend des accusations portées contre elle, en vain elle supplie, agenouillée sur la pierre de « l’inviolable foyer : » Candia, sentant que le malheur est entré dans sa maison avec cette femme, ordonne à son fils de la chasser. Mais au moment où Aligi veut mettre la main sur elle, sa main s’abaisse ; il pousse un cri d’épouvante, et tombe à genoux, les bras ouverts. Derrière la malheureuse femme qu’il voulait frapper, il a vu, debout, un ange muet, et qui pleurait, « qui pleurait comme vous, mes petites sœurs, qui pleurait et me regardait fixement. » Et il poursuit, mais avec une musique de mots, hélas ! intraduisible, avec l’accent désespéré du jeune Parsifal voyant mourir un cygne qu’il a frappé de sa flèche :


J’ai péché contre le foyer, contre mes morts, et contre ma terre, qui plus ne voudra me garder sur elle, qui ne voudra plus accueillir mon corps ! Petites sœurs, pour me laver du péché, dans la cendre, sept fois sept jours, je ferai avec ma langue autant de croix que sont sorties de larmes de vos