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yeux ; et l’ange les comptera et rendra le printemps à mon cœur. Ainsi je veux obtenir mon pardon devant Dieu, mes sœurs ; et vous, priez, priez pour Aligi votre frère, qui doit maintenant s’en retourner à la montagne ! Et celle qui a souffert la honte et l’outrage, consolez-la ! Donnez-lui à boire, ôtez d’elle la poussière, avec l’eau et le vinaigre, réconfortez ses pauvres pieds sanglans !… Miladi Codra, ma sœur en Jésus-Christ, accorde-moi pardon de l’offense ! Ces fleurs de Saint-Jean-Baptiste, je les mets ici à tes pieds. Je ne te regarde point, car j’ai trop de honte : derrière toi se tient l’Ange en pleurs. Mais cette malheureuse main qui t’a offensée, avec un tison je vais brûler cette main !


Toujours à genoux, il se traîne vers le foyer pour y prendre un tison ardent : mais la fille de Jorio l’en empêche. « Je t’ai pardonné ! dit-elle, non, ne te brûle pas ! Lève-toi du foyer ! A Dieu seul revient de punir : et c’est lui qui t’a donné ta main, pour garder tes moutons dans les pâturages… Et moi, je me souviendrai de ton nom, à midi, et le matin, et le soir, pendant que tu pâtureras sur la montagne ! » Le jeune homme, alors, va prendre une croix de cire, bénie le jour de l’Ascension, et la pose sur le seuil de la porte : et les moissonneurs s’éloignent, après s’être signés, pendant que Candia et les femmes entonnent les Litanies de la Vierge. Tout à coup se montre, sur le seuil, le vieux Lazaro, la tête bandée, soutenu par deux hommes. « O mes filles, mes filles, s’écrie Candia, c’était vrai ! Pleurons, mes filles ! Le malheur est sur nous ! »

Au second acte, Aligi a rejoint son troupeau, et la fille de Jorio l’a suivi. Les voici maintenant dans une grotte de la montagne. Mila chante, tandis que le jeune homme, assis près d’elle, s’occupe à sculpter une figure d’ange dans un tronc de noyer. Mais bientôt il songe, tristement, que le jour approche où il devra quitter la montagne. « Vers Rome il fera voyage, Aligi ; il ira où l’on va par tous les chemins, avec son troupeau, à Rome la Grande, pour implorer son pardon du Vicaire de Notre-Seigneur le Christ, parce qu’il est le berger des bergers. Et à Notre-Dame des Esclavons il enverra, par la main d’Alaï d’Averna, ces deux chandeliers de cyprès, afin que de ses péchés ne reste point fâchée Notre-Dame qui protège la côte. Et puis cet Ange, dès qu’il l’aura fini, il le chargera sur une mule, et pas à pas il l’emportera avec lui. » Cependant leurs deux cœurs s’effraient de l’approche de ce départ ; et leur inquiétude grandit encore lorsqu’ils entendent, au loin, les cantiques d’une troupe de pèlerins qui, sans doute, vont passer devant la maison des parens d’Aligi. Avec un effort dont on sent qu’elle est toute déchirée, Mila ordonne au jeune homme d’aller parler à ces