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ALIGI. — Mila, tu as une résonance, dans la voix, qui me console et me contriste comme en octobre quand, avec le troupeau, je chemine, chemine, le long de la mer.

MILA. — Cheminer avec toi par les monts et les plages, ah ! comme je voudrais que ce fût mon lot !

ALIGI. — O compagne, prépare-toi au voyage ! Longue est la route, mais l’amour est fort.

MILA. — Aligi, pour te suivre je passerais sur la flamme ardente, si même le passage n’avait point de fin !

ALIGI. — Sur la montagne tu cueilleras les gentianelles, et sur la plage les étoiles marines.

MILA. — Si même je devais te suivre à genoux, je me traînerais sur tes traces !

ALIGI. — Pense aux repos, quand il fera nuit ! Tu auras pour oreiller la menthe et le thym.

MILA. — Non, je n’y penserai pas. Mais laisse-moi, encore cette nuit, vivre où tu vis ! Que je t’écoute dormir encore une fois ! que je veille encore pour toi, comme tes chiens !

ALIGI. — Tu le sais, tu sais ce qui nous attend ! Avec toi je partage l’eau, le pain, et le sel. Et, de même, avec toi je partagerai ma couche, jusqu’à la mort ! Donne-moi tes mains ! (Ils se prennent par les mains et se regardent fixement.

MILA. — Ah ! je tremble, je tremble ! Tu es glacé, Aligi, tu pâlis !… Où est allé le sang de ton visage ?

ALIGI. — O Mila, Mila, j’ai entendu comme un coup de tonnerre… Et toute la montagne s’écroule ! Où es-tu ? où es-tu ? Tout se perd. (Il s’appuie sur elle, comme s’il chancelait. Et ils se baisent sur les lèvres. Puis ils tombent, ensemble, à genoux.)

MILA. — Aie pitié de nous, Vierge Sainte ! Aie pitié de nous, Christ Jésus ! (Suit un grand silence.)

UNE VOIX, du dehors. — Berger, on te cherche, là-bas : une de tes bêtes, une noire, s’est cassé la patte !… Et puis, l’on dit qu’il y a une femme, je ne sais qui, une femme qui va te demandant !


Aligi s’éloigne ; et Mila, toujours à genoux, supplie la Vierge d’avoir pitié d’elle. Mais le jeune homme s’est trompé : il ne reste plus d’huile dans l’outre, et la lampe s’éteint, subitement, devant l’image sainte. et voici venir cette femme qui cherchait Aligi, sur la montagne : c’est sa plus jeune sœur, Ornella, celle qui, la première, a eu pitié de la fille de Jorio. Elle vient maintenant lui réclamer son frère, dont elle croit que Mila est devenue la maîtresse. Elle décrit l’horreur de la maison désertée, le silence de la mère, l’angoisse de la fiancée. Elle conjure Mila d’être bonne, et de leur rendre celui qu’elle leur a ravi. Et Mila comprenant à ce dernier signe qu’il n’y a plus d’espoir pour elle déclare à la jeune fille qu’elle va s’en aller tout de suite, sans même