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caisse essentiellement politique de M. Mascuraud ? M. Millerand sentait bien que la question serait délicate, si elle venait à se poser, et c’est pour cela qu’il a demandé à M. Combes de ne pas prononcer le nom de ce donateur magnifique, mais embarrassant. Après avoir appris comment M. Mascuraud remplissait sa caisse, il aurait été intéressant de savoir comment il la vidait. On serait arrivé alors à une seconde question, non moins délicate que la première, celle de ses rapports avec le gouvernement. Si la Commission avait tourné de ce côté ses recherches, peut-être n’aurait-elle réussi qu’à moitié à y faire la lumière, car, pour la faire complète, il lui aurait fallu quelque chose du génie d’un Balzac, et il ne semble pas qu’aucun de ses membres en ait été doué. Mais elle a oublié tout le reste pour se demander seulement si, oui ou non, M. Mascuraud était allé à Fourvoirie à une date déterminée. Il n’y était pas allé ce jour-là ! Aussitôt toutes les accusations ou présomptions élevées contre lui se sont écroulées : rien n’en est resté debout ! L’éclat fulgurant de sa justification a éteint par comparaison les clartés plus modestes, mais pourtant utiles, qui avaient commencé d’éclairer d’autres points. L’esprit humain est ainsi fait.

Un homme qui le sait à merveille, c’est M. Millerand. Il n’était pas dans une bien bonne posture au moment où a été nommée la Commission d’enquête, ni pendant les premiers jours qui ont suivi. Pris à partie directement et violemment par M. le président du Conseil dans la séance du 10 juin, on se demandait au nom de quel intérêt il avait imposé à M. Combes un silence qui lui avait été si lourd, qu’il avait pourtant gardé pendant dix-huit mois, mais qu’il rompait avec tant de fracas. Qu’avait été exactement l’intervention de M. Millerand ? Que signifiait-elle ? La question restait sans réponse. On sentait toutefois confusément quelque chose de louche derrière les paroles irritées de M. le président du Conseil. Évidemment, M. Combes avait voulu et cru atteindre M. Millerand en pleine poitrine : était-ce sans motifs ? Les premières dépositions de l’ancien ministre du Commerce n’avaient pas dissipé cette impression, qui lui était peu favorable. C’était lui, — il le reconnaissait, — qui avait indiqué à M. Chabert la caisse de M. Mascuraud comme le réceptacle naturel des 100 000 francs qu’il ne savait où déposer ? C’était lui qui avait conseillé à M. Lagrave de rapporter à M. Combes le propos au moins léger tenu par le même M. Chabert sur -ce qu’il ferait, lui malin, s’il était à la place des Chartreux ? Sans doute MM. Combes avaient exagéré l’importance du propos et la gravité de la démarche, en assurant qu’ils avaient été l’objet d’une tentative de corruption à laquelle leur vertu avait échappé. Toutefois ils n’avaient pas