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sa caisse de l’argent aux Chartreux, aurait-il fait personnellement une démarche aussi compromettante ? La Commission ne paraît pas l’avoir cru un seul moment ; néanmoins, elle a demandé à M. Mascuraud ce qu’il avait à dire pour sa justification. Il a montré un agenda qui rendait compte de l’emploi de son temps, et d’après lequel il était à Paris le jour indiqué comme étant celui de son voyage. Les journaux ministériels ont crié que la preuve était faite. Mais, certes, elle était faible. On nous fera croire difficilement que, si M. Mascuraud était allé à Fourvoirie dans les intentions qui lui ont été prêtées, il en aurait fait mention sur son agenda. Heureusement, il a pu exciper d’un alibi plus sérieux : membre du tribunal des prud’hommes, il a assisté à une de ses réunions le jour où Cendre avait cru le voir dans l’Isère. Cette fois, la Commission a été convaincue, et d’ailleurs elle ne demandait qu’à l’être. M. Mascuraud a été introduit une fois de plus dans son sein, et le président, M. Flandin, lui a dit en son nom qu’elle avait éprouvé un « indicible soulagement » à le mettre hors de cause. Ce sentiment a été si vif que la Commission ne s’est pas souvenue que plusieurs dates avaient été indiquées comme étant celle de la visite à Fourvoirie. Après tout, Cendre aurait pu se tromper sur ce détail : on se rappelle une figure plus facilement qu’une date. L’innocence de M. Mascuraud aurait été encore plus éclatante si la Commission avait étendu ses vérifications aux diverses dates mises en avant : mais, tout entière à son « indicible soulagement, » elle n’y a pas songé.

Il s’est passé, à propos de M. Mascuraud, un phénomène moral, que nous signalons parce que ce n’est pas la seule fois qu’il s’est produit au cours des travaux de la Commission d’enquête. Ce phénomène est très connu de ceux qui ont l’habitude des assemblées et des foules. Un moment vient où, soit par le simple effet du hasard, soit par une habile sollicitation des hommes, l’attention, qui jusque-là s’était portée et dispersée sur plusieurs points, se fixe sur un seul, autour duquel se livre la bataille décisive. On oublie, au moins momentanément, tout le reste, quelle qu’en soit d’ailleurs l’importance, parfois très supérieure à celle de l’incident qui a comme accroché les esprits. Que de choses n’y a-t-il pas à dire sur M. Mascuraud et sur son comité ? Nous en avons dit quelques-unes, non pas toutes. M. Mascuraud n’a pas essayé de remplir sa caisse avec l’argent des Chartreux, soit ; mais celui de M. Chabert était-il lui-même de bien bon aloi ? Pourquoi M. Chabert, homme d’affaires qui ne fait pas de politique et qui même professe pour elle une sorte d’horreur, a-t-il versé 100 000 francs à la