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l’usage de son temps, avait cru devoir corriger, parer, et orner son auteur avant de le présenter au public. C’est ce qu’avaient fait avant lui, en 1669, les éditeurs des Pensées de Pascal, et c’est ce que devait faire après lui, en 1772, l’éditeur des Sermons de Bossuet. On connaissait d’ailleurs les aveux maladroits qui lui sont échappés dans les « Préfaces » qu’il a mises aux diverses parties des Œuvres de Bourdaloue, et dans lesquelles peu s’en faut qu’il ne se présente comme le perpétuel et très intime collaborateur de son éloquent confrère. « Ce n’est pas une petite affaire, a-t-il dit quelque part, que de soutenir sur le papier la réputation que le prédicateur qu’on imprime s’est acquise dans la chaire. » Et certainement la déclaration était de nature à nous inquiéter ! Mais on n’accusait cependant pas pour cela le Père Bretonneau d’avoir défiguré, travesti, ni trahi son auteur ; et pas un manuscrit de Bourdaloue n’étant parvenu jusqu’à nous, — ce qui d’ailleurs est assez singulier, — l’édition de 1707-1734 nous en tenait lieu.

Cette situation ne pouvait pas durer ; et il fallait qu’un jour ou l’autre ce Père Bretonneau portât la juste peine de ses aveux inconsidérés. Mais il fallait surtout que la philologie s’emparât d’un auteur qu’elle avait jusqu’alors négligé ! C’est pourquoi, depuis que l’on a découvert, ou plutôt examiné de plus près, car l’existence en était depuis longtemps connue, quelques éditions subreptices et quelques copies manuscrites des Sermons de Bourdaloue, et depuis qu’on a relevé, entre ces textes et celui de l’édition « officielle, » des différences parfois assez considérables, l’habitude s’est établie de traiter Bretonneau presque aussi sévèrement que Victor Cousin avait jadis traité les éditeurs de Pascal. On lui reproche d’avoir fait arbitrairement un choix parmi les Sermons de son illustre confrère, pour n’admettre dans son édition, que ceux qu’il aurait trouvés lui-même conformes à la médiocrité de son goût. On pose d’ailleurs en principe que, toutes les fois que l’on rencontrera, dans un sermon de Bourdaloue, de l’embarras, des longueurs, de la diffusion, de la lourdeur, ce sera du Bretonneau. « Quand l’orateur, nous dit M. Castets, s’attarde en une discussion froide et languissante, quand les mots se succèdent sans progrès réel dans la pensée, quand l’impropriété d’une expression ou d’un mot voile l’idée, quand la phrase s’enfle en une emphase vide, il n’y a pas lieu d’hésiter, c’est bien du Bretonneau. » On va plus loin ! On l’accuse