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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/544

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oraison chimérique celle qui, réduite aux principes, ne se trouve pas à l’épreuve de la plus exacte et la plus sévère théologie… J’appelle oraison chimérique, celle qui choque le bon sens et contre laquelle se révolte la droite raison, ayant toujours été convaincu que le bon sens, quelque voie que l’on suive, doit être de tout, et que, là où le bon sens manque, il n’y a ni oraison, ni don de Dieu. [Sur la Prière. Dimanches, édition Bretonneau, T. II, 31 et 32.]


« Quelque voie que l’on suive, le bon sens doit être de tout ! » retenons le mot de Bourdaloue. Mais ce n’était point l’avis de Fénelon, et, précisément, si ce qu’il demande le moins à son prédicateur idéal, dans ses Dialogues sur l’éloquence, c’est le bon sens, on s’explique aisément qu’il ait aussi peu goûté la parole que la théologie de Bourdaloue. L’archevêque de Cambrai a toujours aimé les « voies extraordinaires, » celles que fréquentent les mystiques, — qui sont les raffinés, les dilettantes, les aristocrates de la prière ; — et ce qu’il voulait dans la chaire chrétienne, ce n’était point tant des « instructions, » que des inspirations, des élans, des essors, des extases et des ravissemens. En vérité, cette manière n’était point celle de Bourdaloue.

Et il faut bien croire que ce n’était pas non plus celle que préféraient leurs contemporains à tous deux, ni les générations qui les ont suivis, puisque nous voyons que, bien loin de tomber avec lui, comme celle d’un Cheminais ou d’un La Rue, — qui, d’ailleurs, ne sont point des prédicateurs méprisables, — la réputation de Bourdaloue n’a fait au contraire que grandir avec le XVIIIe siècle. On lui a préféré Massillon ; et jadis, ici même, nous avons essayé d’en dire les raisons[1]. Mais on n’a pas pour cela méconnu, ni même essayé de rabaisser son mérite. On a fait mieux encore, et jusque dans l’oraison funèbre, quoiqu’il n’en ait prononcé que deux, on l’a mis au-dessus de Bossuet. Dans une Histoire littéraire du Règne de Louis XIV, par l’abbé Lambert [3 vol. in-4o, Paris, 1761], Bossuet n’a pas de rang parmi les « orateurs sacrés, » mais seulement parmi les « théologiens, » ce qui peut assez bien s’expliquer par ce fait que ses Sermons n’étaient point encore imprimés. Mais ses Oraisons funèbres l’étaient, et cependant l’abbé Lambert, dans un paragraphe très étudié qu’il consacre à la gloire de ce genre d’éloquence sous le règne de Louis XIV, oublie le nom de Bossuet pour ne se souvenir que de Fléchier, de Mascaron, du Père de La Rue et de Bourdaloue. Moins sensible

  1. Voyez, dans la Revue du 1er janvier 1881, De l’Éloquence de Massillon.