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des raisons pour lesquelles les contemporains, non seulement ont tant apprécié l’éloquence de Bourdaloue, mais semblent l’avoir préférée à celle de Bossuet. Signatam præsente nota : ils l’ont appréciée et goûtée d’être toujours « actuelle. »

On en peut voir une autre raison dans la candeur ou dans la naïveté qui fut celle du prédicateur. On connaît les paroles de Mme de Sévigné : « Avant-hier, j’étais tout au beau milieu de la Cour… nous entendîmes après dîner le Père Bourdaloue, qui frappe toujours comme un sourd, disant des vérités à bride abattue, parlant contre l’adultère à tort et à travers. Sauve qui peut, il va toujours son chemin ! » Ces paroles se rapportent-elles au sermon sur l’Impureté ? Les commentateurs de Bourdaloue disputent, et le Père Lauras disait oui, mais le Père Griselle dit non. En tout cas, si elles ne s’y rapportent pas, elles s’y appliquent admirablement ; et quand on les rapproche d’un passage moins connu du Dictionnaire philosophique de Voltaire : « Vous avez fait un bien mauvais sermon sur l’Impureté, ô Bourdaloue ;… » il suffit de relire le sermon pour s’apercevoir que Voltaire et Mme de Sévigné veulent dire la même chose. « Candeur » ou « naïveté, » plutôt que « hardiesse, » — car, à se servir de ce mot, on ferait tort à tant d’autres prédicateurs, moins connus, mais non pas moins courageux que lui dans la chaire, — Bourdaloue dit les choses comme elles sont ; n’use point en parlant de circonlocutions ou de périphrases ; ne déguise ni n’atténue pour aucune considération de personnes la franchise de sa pensée et la liberté de son expression. C’est ce qui déplaît, littérairement, à Voltaire, lequel se donne à lui-même toutes les licences, mais n’en a pas moins des idées très arrêtées sur la distinction des genres, et exige dans les sermons la même « noblesse de style » que dans la tragédie. Mais c’est ce qui plaît à Mme de Sévigné, et oserai-je dire que c’est ce qui « l’amuse ? » elle, et les belles dames qui se plaindront demain d’avoir été rudoyées par le prédicateur, auxquelles même il faudra qu’il fasse des espèces d’excuses, mais qui n’en courront pas moins en foule à son prochain sermon. Ce Bourdaloue leur dit des choses que ne leur disent point tous les autres ; et, en faisant mine de s’en scandaliser ou parfois d’en sourire, elles sont empressées, curieuses et avides de les lui entendre dire. Il lui arrive, à lui-même, de s’étonner, à cet égard, du choix de ses sujets. Voici le début d’un sermon sur la Tempérance chrétienne :