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Mais il n’en résulte pas que Bourdaloue soit inférieur à Bossuet ; il est seulement autre ! et c’est ma seconde observation, qu’il faudrait enfin cesser de considérer « l’éloquence de la chaire » non pas même comme un genre, mais comme une spécialité, dont l’idée se définirait par des traits constamment identiques, et dans laquelle on excellerait diversement, et à des degrés différens, mais toujours par le moyen et en raison des mêmes qualités. L’illusion n’est peut-être nulle part plus apparente que dans le cas de Bourdaloue, si, de quelque manière qu’on le juge, il semble que ce soit toujours par rapport à Bossuet. Tel sermon sur la Mort, sur la Providence, ou encore celui qu’on intitule sur l’Unité de l’Église étant pris pour modèle, Vinet, Sainte-Beuve ou Nisard semblent toujours chercher en quoi, comment, par où, un sermon de Bourdaloue en diffère ; et je ne suis pas sûr, dans la présente étude, de n’avoir pas fait comme eux. Il y a cependant autant de formes de l’éloquence de la chaire qu’il y a de grands orateurs chrétiens, et même c’est pour cela qu’il y a si peu de « grands orateurs » de la chaire. Bossuet n’est pas ce qu’il est pour avoir eu, dans un degré plus éminent, des qualités qui seraient aussi celles de Bourdaloue, ni Bourdaloue n’est un Bossuet dont la composition serait plus didactique, les développemens plus diffus, et le style moins original, comme étant plus impersonnel. Disons cela, si nous le voulons, de leurs « copistes » à chacun ! Mais eux, s’ils sont eux, sachons qu’ils le sont pour des raisons et par des qualités qu’on ne détache pas ainsi d’eux ; et que l’originalité de leur « éloquence » à tous deux est faite précisément de n’avoir pas de commune mesure. Et, en le disant, on n’a sans doute la prétention de l’apprendre à personne ; on sait que les critiques et les historiens de la littérature le savent ; mais ils font, ils ont fait jusqu’ici comme s’ils l’ignoraient. Nous souhaiterions, si nous avions, à notre tour, commis la même erreur, que le lecteur en fût du moins averti.

Ce qu’en effet nous avons essayé de montrer, c’est que l’éloquence de Bourdaloue pouvait et devait se définir, — indépendamment de toute comparaison avec celle de Bossuet ou de Massillon, — par des traits qui n’appartiennent qu’à elle. Quand Nisard écrivait que, si Bossuet est « l’orateur » de la chaire chrétienne, Bourdaloue en est le « dialecticien, » il entendait manifestement qu’un « dialecticien » de la chaire n’en est que l’ « orateur » plus traînant, moins original, et moins inspiré