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intentionné envers l’Autriche, avec un certain arrière-fond chevaleresque d’admiration pour Napoléon, de sympathie pour l’armée française, bien rare en cette profession, surtout en Angleterre. Metternich pouvait en profiter, au besoin, pour combattre l’ardeur enragée des Prussiens et l’entêtement glorieux d’Alexandre à détrôner Napoléon, à entrer triomphalement dans Paris, acclamé par les Français, à donner des institutions au pays de Montesquieu et un roi à la Révolution française. Stadion, qui fréquenta Aberdeen, peu après, au congrès de Châtillon, plaint doucereusement « son innocence diplomatique. » C’était, sans aucun doute, une qualité aux yeux de Metternich, et il ne laissa pas, dès qu’il s’en aperçut, d’en tirer avantage.

Il entreprit Aberdeen plus d’une fois, durant la route qu’ils faisaient en commun vers le Rhin, et il le trouva dans les dispositions qu’il souhaitait. — Il faut, lui disait-il, restreindre la puissance de la France ; mais pourquoi se refuser à toute négociation ? Il serait bon de. négocier, ne fût-ce que pour rejeter sur Napoléon l’odieux de la prolongation de la guerre. Au fond, une bonne paix est le but de cette guerre. — Lorsque Merveldt rapporta la conversation que Napoléon avait eue avec lui, à Leipzig, le 17 octobre, Metternich y vit une amorce. Si l’on pouvait atteindre, par ce procédé, l’objet fondamental de la guerre, ce serait une faute de ne s’y point prêter pour le vain plaisir de réorganiser le gouvernement de la France. En Angleterre, les gouvernans, depuis 1804, depuis le traité du 11 avril 1805, n’avaient pas changé d’avis sur cet article : la déchéance de Napoléon leur garantirait seule la paix qu’ils voulaient, la paix dans les anciennes limites. Mais cette déchéance et surtout l’établissement d’une monarchie restaurée, ils ne pouvaient les donner ostensiblement comme objet à la guerre. Le Parlement, encore que très acharné contre Napoléon, n’eût pas admis que la guerre se prolongeât pour une intervention dans les affaires intérieures de la France, lorsque l’objet essentiel, la frontière, serait atteint. Il fallait donc, aux ministres, manœuvrer en secret, contre l’Empire et l’Empereur, et ils ne s’en firent point faute ; mais, ouvertement, ils ne pouvaient refuser d’entamer au moins une négociation de forme. C’est ce qu’Aberdeen reconnaissait d’autant plus aisément qu’il y penchait par son propre goût, qu’il n’était point dans le secret de son gouvernement, et que son principal personnage au quartier général consistait à occuper la galerie.