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d’inaliénabilité » par lesquelles la Chine s’engageait, au cas où elle se déciderait à s’amputer de telle ou telle province, à donner la préférence à telle ou telle puissance. Le gouvernement français lui-même suivit à contre-cœur l’exemple des autres puissances, mais du moins il choisit la baie de Kouang-Tcheou-Ouan qui, par sa situation méridionale, n’était pas un pistolet braqué en face de Pékin, dont l’occupation n’était pas une provocation vis-à-vis des Japonais et ne risquait pas de nous entraîner malgré nous dans les querelles qui ne pouvaient manquer de surgir dans la Chine du Nord. L’année suivante, les Italiens allaient réclamer, eux aussi, un territoire.

Ainsi, en dépit de la prudence des formules des « prises à bail, » et des « déclarations d’inaliénabilité, » il demeurait évident que l’intégrité du Céleste-Empire n’était plus qu’un mot vide de sens et que les Européens n’avaient obligé le Japon à lâcher prise que pour s’établir à sa place. Le patriotisme nippon ne pouvait qu’en être profondément ulcéré : reprendre Port-Arthur apparut désormais au peuple tout entier comme le but suprême de l’activité nationale. Mais ces rancunes profondes ne se manifestèrent pas dans la conduite du gouvernement : les Européens abandonnaient la politique d’intégrité, il la reprit pour son compte ; tandis qu’Allemands, Russes, Anglais, Français, Italiens réclamaient des morceaux de Chine, les Japonais non seulement ne demandèrent rien pour eux, mais ils évacuèrent Weï-Hai-Weï, qu’ils gardaient en gage jusqu’au paiement complet de l’indemnité de guerre, et le livrèrent sans difficulté aux Anglais. Mais, à Pékin, ils eurent beau jeu pour dénoncer les ambitions européennes, pour faire entendre que l’on s’était laissé duper, que seul, l’événement le prouvait, un peuple jaune était capable de garantir efficacement l’intégrité du territoire et de rendre aux Chinois le service de les guider dans la réorganisation des armées, du gouvernement, en un mot, dans la « modernisation » indispensable de l’Empire du Milieu. Ainsi trois ans avaient suffi pour renverser complètement les rôles !

Le moment était favorable pour le succès de la mission que le marquis Ito vint remplir à Pékin dans l’été de 1898. L’affaire de Kiao-Tcheou et ses suites avaient révélé aux Chinois le danger des amitiés européennes. Parmi le peuple, le coup de force des Allemands avait réveillé la vieille haine contre les étrangers. Les missionnaires les premiers subirent les conséquences des