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« L’habitude est une seconde nature, et le travail continu ne les fatigue guère. » L’habitude ! mais si elle va jusqu’à les réduire à l’état de machines inconscientes, insensibles et inertes, si tout le travail n’est que de donner une certaine quantité de force et de porter, un certain nombre de fois en un certain temps, un certain poids à une certaine hauteur, pourquoi faire des hommes-machines ; pourquoi ne pas recourir du premier coup à la machine qui n’est que cela, qui n’a été inventée que pour cela, qui ne peut servir qu’à cela ; pourquoi ne pas substituer tout de suite au bras de chair le bras de fer ? Il semble que ce soit l’affaire d’un levier coudé. Le mal s’aggrave de ce que ce sont des garçons, des gamins, que l’on embauche au sortir de l’école, à partir de 13 ans, parfois même de 12, par une tolérance de la loi, et dont les plus vieux ne dépassent pas 17 ans. Ne pourrait-on du moins, — si la machine ne se prête point à les remplacer, et s’il y faut absolument, jusqu’à ce que l’on ait trouvé l’engin possible et pratique, des muscles humains, — remettre à des hommes faits ce travail simple, mais qui exige une grande dépense de force ?

Les deux solutions se présentent à l’esprit : l’une ou l’autre, mais pas la troisième ; ou la machine, ou l’homme, mais pas l’enfant. Malheureusement, nous sommes dans le domaine des réalités, non sous l’empire de la logique ou sous le règne de la justice idéale. Et les choses ne vont pas si facilement. On n’a pas encore la machine ; et quant à donner à des hommes faits le travail que fournissent aujourd’hui les garçons presseurs, il y a un obstacle, qui est platement et, au gré de certains, « bourgeoisement, » mais durement et inflexiblement tout de même, la question d’argent. Les gamins sont, en moyenne, payés 4 fr. 75 par jour. Un adulte, ou seulement un jeune homme au-dessus de 48 ans, se paierait le double, soit 3 fr. 50. Pour une filature qui occupe une vingtaine de garçons presseurs (c’est déjà sans doute une filature importante), l’augmentation, de ce seul chef, ressortirait au bout de l’année à une vingtaine de mille francs. Or, il paraît que l’état de l’industrie est si précaire et la concurrence si âpre, que c’est là un surcroît de charges que, dans les circonstances présentes, peu d’établissemens supporteraient sans plier.

Telle est, quand on leur en parle, l’unanime réponse des patrons ; et l’on ne nous fera pourtant pas croire qu’ils soient