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centimes de plus sur un grand métier. Une démonteuse débute, vers 13 ans, à 0 fr 75, pour arriver, par augmentations successives, à 1 fr. 50 et f fr. 65 ; à 16 ou 17 ans, elle passe metteuse en ordre et touche de 1 fr. 65 à 1 fr. 90 ; après quoi, elle passe fileuse, — ce qui comble et doit épuiser toute son ambition. La moyenne d’une dévideuse adulte, soit aux pièces, soit à la journée, est de 2 fr. 50 ; celle des cardeurs ou cardeuses, de 2 fr. 10 à 2 fr. 50. Graisseurs, mécaniciens, menuisiers, tourneurs, contremaîtres, les spécialistes d’une profession qui n’est pas le unskilled labour, et à la connaissance ou à la pratique de laquelle il ne peut suppléer, ont, de tous les ouvriers, les meilleurs salaires, variant de 3 à 7 francs par jour.

Pour avoir le gain annuel, il n’y a qu’à multiplier par 300 jours ces salaires quotidiens : on trouve alors des sommes qui vont de 225 francs à 2 100, en passant par 300, 450, 480, 495, 540, 600, 645, 695, 700, 750, 795, 800, 900 et 1 200 ; et en se fixant surtout aux environs de 500 à 800.

Encore une fois, ce n’est pas un gros budget de recettes ; et il ne faut pas un gros budget de dépenses pour en venir à bout. Tout à l’heure, en copiant quelques-uns de ces chiffres, mon cœur battait et ma main tremblait, comme au temps où je recueillais, douloureusement tracés, de leurs doigts plus habiles à manier l’aiguille que la plume, sur des chiffons de papier graisseux, les budgets de misère des petites ouvrières parisiennes ! Je sais bien que les mêmes salaires n’ont cependant point la même valeur en tous lieux ; que 225 francs représentent plus ici que là ; que ces 225 francs doivent se compter moins en espèces qu’en échanges, moins en pièces d’argent qu’en marchandises, qu’en objets d’utilité. Et je sais aussi que, pour beaucoup, femmes, filles et jeunes garçons, ce ne sont que des salaires d’appoint, qui viennent s’ajouter au gain du mari ou du père, et grossir le maigre trésor de la famille. Je sais enfin que la plupart de ces jeunes gens, de ces filles et de ces femmes n’ont pas le choix ; que, s’ils ne gagnaient pas cela, ils ne gagneraient rien, ce qui fait qu’il s’en présente toujours plus qu’on n’en demande, pour gagner si peu… Et c’est le tranchant de la règle d’airain, c’est le mordant de la vis sans fin du sweating System

Il en est ainsi, je le sais ; mais que faire pour qu’il puisse en être autrement ? Car, dans le Nord, pays de mines et de métallurgie, à salaires forts et à vie chère, 225 francs, peu de chose