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Mais la pente était trop rapide, l’impulsion trop irrésistible. Ce roi, récalcitrant à sa propre gloire, est entraîné à reconquérir son royaume, comme il l’a été, en 1806, à le perdre. C’est un Louis XVI qui marcherait sans le vouloir, ni le savoir, à un Valmy, à un Jemmapes, qui se feraient pour la royauté. La Prusse se lève, le Roi la suit. Les mesures se succèdent, timides, incertaines, d’abord, puis de plus en plus significatives, enchaînées par une force supérieure qui commande au Roi les décrets, les dépêches, les traités qu’il signe d’une main, hésitante. Le 29 janvier, il fait annoncer au tsar qu’il est prêt à répondre à son appel et qu’il lui envoie un plénipotentiaire. C’est Knesebeck, rappelé en hâte de Vienne.

Hardenberg note dans son Journal : « Affaires et conférences militaires ; difficultés avec Sa Majesté. Le Roi ne sait pas encore bien ce qu’il veut. » Il voudrait la reconstitution de sa monarchie, Alexandre la promet, mais où, quand, comment ? Le retour aux limites de 1806, ou des compensations à prendre aux dépens des alliés de Napoléon ? Alexandre a indiqué le roi de Saxe, duc de Varsovie. Ce prince est chassé de son duché, on l’expropriera de son royaume, et ce royaume, tout allemand, formerait un bel arrondissement pour la Prusse, au cœur de l’Allemagne ; mais Frédéric-Guillaume voudrait la Saxe et le duché de Varsovie. Déposséder un roi, son frère allemand, est d’ailleurs un acte dont jamais roi de Prusse ne s’est embarrassé. Ce qui sera bon à garder est toujours bon à prendre. Mais la Saxe n’est pas prise. Napoléon la défendra. Varsovie et Posen sont pris. Il n’y aurait qu’à étendre la main et à recevoir. Le Roi y incline, et ses ministres l’y poussent, sans d’ailleurs exclure la combinaison saxonne, car, le duché de Varsovie recouvré, il resterait à s’indemniser de la Westphalie.

Le 8 février, les instructions de Knesebeck sont expédiées ; en même temps, le Roi adresse une lettre autographe au tsar, lettre de chancellerie, minutée par Hardenberg, et qui ne part point d’un cœur exalté qui se donne ; elle trahit un homme d’affaires qui négocie un contrat et se dispose à marchander sur les prix, à disputer sur les termes. Au moment de sauter le pas, le roi de Prusse commence par reculer, et ce n’est pas pour prendre plus d’élan. Il ne se livrera que ses compensations en poche, son plan de campagne dans la main. Il mettra en ligne 80 000 Prussiens, il réclame 150 000 Russes sur l’Oder avant le