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le sel que l’Océan laisse sur leurs rivages. Et de même que la saine amertume est portée au loin dans l’intérieur des terres par les souffles nés sur les eaux, de même les vertus de la race maritime se répandent par les alliances, le voisinage et l’exemple, dans les populations rurales, et fortifient la sagesse que celles-ci apprennent du sol. En Bretagne, les landes maigres, qui s’étendent, comme une houle, et de la mer ont les brumes tristes et les tempêtes hurlantes ; dans les plaines flamandes et picardes, l’horizon bas, gris, pluvieux, la terre plate où la variété et le charme de l’existence rurale sont chassés par la monotonie mécanique et l’aide des exploitations industrielles ; dans la Beauce, l’uniformité d’une étendue sans abri contre les courans glacés de l’hiver, sans ombre contre les brûlures de l’été, déconseillent l’homme de vivre au dehors, où se prend la fièvre des nouvelles et des discussions. Cette nature lui rend plus cher le chez soi où, la porte close, règne la famille, où le calme sain du foyer fait saines et calmes les pensées.

Dans les herbages normands et les jardins de l’Anjou, autre est l’existence, grasse comme le sol. Là le calme des populations n’est plus, comme dans les régions rudes, une énergie qui, malgré les besoins, dompte les désirs, mais un bon sens calculateur qui tient conseil avec ses intérêts. Là le plus long entretien de l’homme est avec la terre. Elle le persuade que s’enrichir en la soignant est s’assurer presque tous les avantages de la vie ; que, pour cette gestion, il n’a pas besoin de tiers, et que plus ces tiers, fussent-ils députés ou ministres, s’occuperont de lui, plus sera envahie par des étrangers, souvent spoliateurs, cette indépendance où est la garantie la plus sûre de son avenir. C’est pourquoi il n’aime pas la politique, il se sent amoindri même par ce qu’elle promet. Son sens pratique goûte les biens acquis plus que son imagination n’est éprise des biens annoncés par les novateurs, surtout socialistes. Il ne veut pas cesser d’être le maître qui travaille à son heure, mange à sa table et dort sous son toit, pour devenir le valet qui ne choisit plus ni sa tâche, ni sa destinée, ni son repos. Il calcule enfin que toute solution de continuité dans le pouvoir est une brèche ouverte à l’inconnu. C’est pourquoi il n’aime pas la révolution. Cette méfiance instinctive avait été fortifiée dans le populaire, par les classes plus aptes à se former une opinion réfléchie sur les affaires d’Etat : par la bourgeoisie active et riche, qui dominait dans les