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matière et le mouvement, avec le rythme de leur concentration ou de leur diffusion, Spencer ne fait appel pour composer les choses qu’aux seuls élémens de la physique mathématique : de là l’illusion des commentateurs qui ont fait de lui un physicien. « L’évolution, nous dit-il avec une fausse précision, sous sa forme la plus simple et la plus générale, c’est l’intégration de la matière et la dissipation concomitante du mouvement, tandis que la dissolution, c’est l’absorption du mouvement et la dissipation concomitante de la matière. » Seulement Spencer s’avise aussitôt d’une réflexion qui n’est plus guère d’un physicien. « Savoir quels sont les élémens d’une opération n’est pas savoir comment ces élémens se combinent pour l’effectuer ; ce qui peut seulement unifier la connaissance, ce doit être la loi de coopération des facteurs. » Dès lors le problème est tout autre : « il s’agit de découvrir le principe dynamique qui exprime ces relations constamment changeantes. » N’est-ce pas à dire que, si les données de Spencer sont physiques, leur mise en œuvre et l’interprétation de leur loi de composition sont uniquement biologiques ? — et nous retrouvons justement dans la doctrine ce que nous avions découvert dans l’histoire de sa formation.

Au surplus, cette manière de comprendre l’évolution de Spencer se trouve bien confirmée par l’absence chez lui d’une théorie propre de la vie ; — et les biologistes, soucieux de leur spécialité, n’ont pas manqué de lui reprocher cette apparente lacune. Il est impossible en effet de trouver chez Spencer, soit dans les Principes, soit dans les Principes de Biologie, une notion spécifique de la vie, une formule qui la caractérise et la distingue parmi tous les autres faits de la nature. Il la définit « la coordination des actions. » C’est la formule même qu’il va donner de l’évolution. La vie est, par excellence, l’évolution ; c’est l’évolution même, et il n’est pas surprenant que Spencer définisse l’une par l’autre, s’il a d’abord conçu l’une à l’image de l’autre. En effet, dès que la matière « s’intègre, » elle ne s’agglomère pas seulement ; elle se différencie dans ses parties, s’adapte à des fonctions diverses et multiples : « par conséquent la redistribution de la matière et du mouvement qu’elle retient va d’un arrangement diffus, uniforme et indéterminé, à un arrangement relativement concentré, multiforme et déterminé. » Cette dernière définition est-elle donc autre chose qu’une paraphrase de la loi de Von Baër, transposée en termes physiques et plus abstraits ?