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bien, dès que nous considérons une bête morte. Voici maintenant une pierre qui tombe ; il résulte de sa chute un ensemble de modifications dans cette pierre et autour d’elle, notamment une production de chaleur correspondant à un état nouveau d’équilibre entre ses molécules ; or, on aura beau reproduire la même température, on ne verra pas la pierre s’élever de nouveau dans les airs. Donc, semble-t-il, il n’y a pas plus de série réversible de phénomènes en physique qu’en biologie ; les corps tombés ne remontent pas davantage à leur point de départ que les animaux morts ne reviennent à la vie.

Cependant réfléchissons : pour faire un livre, comme le remarque le grand physicien Maxwel à qui nous empruntons cette analyse de la chute, il ne suffit pas de réunir dans un ordre quelconque le million de lettres dont il se compose ; or, à une même température correspond dans un corps donné une infinité d’états vibratoires ; par suite, il ne suffira pas non plus de restituer au corps tombé la température de sa chute pour qu’il quitte terre ; « il faudrait, dit le physicien, entre tous les états vibratoires en nombre infini qui correspondent à la même distribution de la température, choisir exactement l’état inverse de celui qui a produit le choc ; » et, dans ce cas, il n’est pas douteux que nous assisterions en effet à l’ascension spontanée du corps. L’apparente irréversibilité du phénomène marque donc simplement ici l’insuffisance de notre information, la faiblesse de nos moyens expérimentaux. Dans l’avenir, la science plus précise réduira peut-être singulièrement ou dissipera même cette notion provisoire d’irréversibilité ; dès aujourd’hui, nous apercevons sur quelle contradiction repose toute la doctrine de Spencer. L’évolution, c’est la diversité forcée ; la mécanique, c’est la réversibilité nécessaire : « un monde limité, soumis aux seules lois de la mécanique, repasse toujours, dit la science actuelle, par un état très voisin de son état initial[1]. » L’idée d’une évolution mécanique, qui est précisément le premier postulat de Spencer, est donc en opposition directe avec toutes les données positives.

La seconde supposition de Spencer, c’est que tout ce mécanisme de la vie peut être déduit du principe de la persistance de la force : ainsi l’inégale exposition des parties d’un tout aux forces incidentes suffit, prétend-il, à les différencier, d’où

  1. Poincaré.