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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/845

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même fait, la contrariété du cœur et de la raison, suprême mystère de l’existence.

Emerveillé par la science du XVIIIe siècle, désabusé par la philosophie des cartésiens, inquiété par le scepticisme de l’empirisme anglais, incliné par une éducation piétiste aussi bien que par sa nature allemande vers la morale et la religion, Emmanuel Kant, entreprenant tout à la fois de justifier la science, de ruiner la métaphysique, de détruire le scepticisme, d’assurer la morale et de sauvegarder la religion, avait tenté de résoudre toutes ces « antinomies » par sa distinction scolastique entre nos facultés, sensibilité, entendement, raison.

La sensibilité nous présente, sous l’aspect de phénomènes, les manifestations de choses inconnues dont nous ne saisissons jamais rien de plus que ces apparences. L’entendement nous donne les lois logiques, telles que le principe de causalité, selon lesquelles nous pensons et sans lesquelles nous ne saurions penser. La science étant simplement l’application de ces lois de l’entendement à ces données de la sensibilité, l’organisation de l’une par l’autre est certaine et solide, puisque les lois constitutives de notre entendement ne sauraient changer sans que nous cessions aussitôt d’être des hommes : je suis homme, donc je sais ce que je sais. Seulement la métaphysique étant la connaissance des choses indépendamment de ce qu’elles sont dans ma pensée et telles qu’elles sont en soi, est impossible, puisque je ne sais que ce que je pense. Et pourtant cette métaphysique est un besoin de la raison humaine, qui poursuit partout et sans fin l’unité. Elle est aussi essentielle à notre nature qu’irréalisable, puisque nous n’avons aucun moyen de connaître les choses en soi. Seulement de ces choses en soi, si nous ne pouvons dire qu’elles soient ceci, nous ne pouvons nier non plus qu’elles soient cela ; et c’est tout ce qui importe à l’humanité. La raison spéculative ayant perdu ses droits, la raison pratique reprend les siens, et avec elle, l’aspiration du cœur, le besoin moral, la croyance et la foi, — toute la vie. Aucun philosophe ne parviendra à me démontrer l’existence de Dieu ? D’accord ; mais je mets également au défi qui que ce soit de me prouver que Dieu n’existe pas, non plus que l’âme n’est pas immortelle ou que la liberté est une illusion, et il me suffit que j’aie besoin pour vivre de croire à mon devoir, à ma liberté, à l’immortalité de mon âme, à Dieu, pour que toutes ces croyances se justifient par ma