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et lui avait témoigné pendant bien des années un dévouement absolu. Elle lui avait gardé le secret, même avec Mazarin. Elle avait fait plus ; on a la preuve qu’elle trompait son ministre pour la Compagnie. La situation changea avec la mort du cardinal. Soit crainte de son fils, soit scrupule, rien n’autorise à penser qu’Anne d’Autriche ait trompé Louis XIV, après Mazarin, pour une société secrète. Recherchée activement par Colbert, qui devinait une puissance occulte derrière les adversaires de son pouvoir, la Compagnie recourut à sa protectrice habituelle, et eut l’amère déception de la solliciter en vain. Le dévouement d’Anne d’Autriche n’allait plus qu’à se taire.

Aussi longtemps qu’elle fut de ce monde, tout espoir ne fut pas perdu : on pouvait la ramener, et réussir mieux une autre fois. Sa mort compléta le désarroi. Depuis quelque temps, la société n’osait déjà presque plus se réunir. Privée de la mère du Roi, on dirait qu’elle s’abandonne. Elle se dissout, ou elle en a l’air ; ses registres s’arrêtent au 8 avril 1666. La suite des procès-verbaux a-t-elle été détruite ou égarée ? Avait-on renoncé, par prudence, à toutes les écritures ? Les suppositions sont libres. Il en est jusqu’à nouvel ordre de la mystérieuse confrérie comme de ces cours d’eau qui disparaissent sous terre. On perd leurs traces. Il arrive même qu’on ne les reconnaît plus et qu’on leur donne un autre nom, lorsqu’ils ressortent à la surface. Tel, sans doute, a été le sort de la Compagnie du Saint-Sacrement, car l’esprit sectaire, qui était sa marque, ne perd jamais ses droits dans notre pays ; nous le voyons, de nos jours encore, se mettre en France au service des idées les plus diverses.

Dans ce même commencement d’avril (1666) où la Cabale des Dévots s’était avouée vaincue, la Cour fut frappée de l’animation du Roi : — « On fit, écrivait Mademoiselle, un voyage à Mouchy, où on fut trois jours pour une revue. Le Roi y fit venir quantité de troupes. Il y vint beaucoup de dames. On était en justaucorps de deuil. On se divertit fort bien ; le Roi était d’une grande gaieté ; il fit des chansons pendant le chemin… » Louis XIV n’a pas fait beaucoup de chansons dans sa vie, bien que celles-là n’aient pas été les seules.

Il jouissait de se sentir débarrassé des ennuyeux qui avaient abusé du patronage de sa mère pour s’ériger en censeurs de leur souverain. Personne ne s’occupait plus de ses péchés en dehors