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de son confesseur et de ses prédicateurs. Quand les prédicateurs s’appelaient Bossuet ou Bourdaloue, ils ne le ménageaient guère ; mais Louis XIV le supportait : c’était leur métier, et les chrétiens d’alors, même les mauvais, connaissaient leurs devoirs de chrétiens et baissaient le front devant la chaire. Bossuet s’écriait en présence de toute la Cour que « les mauvaises mœurs » sont toujours les mauvaises mœurs, et qu’il y a un Dieu dans le ciel qui venge les péchés des peuples, « mais surtout qui venge les péchés des rois[1]. » Il lançait des apostrophes à l’adresse de Mlle de La Vallière : « — O créatures, idoles honteuses, retirez-vous de ce cœur. Ombres, fantômes, dissipez-vous en présence de la vérité ! Voici l’amour véritable qui veut entrer dans ce cœur : amour faux, amour trompeur, veux-tu tenir devant lui ? » Bourdaloue, qui trouva Mme de Montespan à la place de La Vallière, reprochait au Roi ses « débauches » et lui demandait en plein sermon s’il avait tenu ses promesses de rupture : « — N’avez-vous plus revu cette personne, écueil de votre fermeté et de votre constance ? N’avez-vous plus recherché des occasions si dangereuses pour vous ? » Mme de Sévigné alla un jour l’entendre à Saint-Germain, où il prêchait un carême devant le Roi et la Reine. Elle en revint confondue et transportée de sa hardiesse : « — Nous entendîmes, après dîner, le sermon du Bourdaloue, qui frappe toujours comme un sourd, disant des vérités à bride abattue, parlant contre l’adultère à tort et à travers : sauve qui peut, il va toujours son chemin[2]. » Louis XIV acceptait ces reproches publics : il n’en était ensuite ni plus ni moins.

La mort de la Reine mère avait encore eu pour effet, en suscitant vingt rivales à La Vallière, de grossir la clientèle aristocratique des charlatans et alchimistes, devineresses, sorcières et empoisonneuses qui jouaient un si grand rôle dans la vie amoureuse de la société la plus polie du monde. La magie comptait alors parmi les industries parisiennes les plus florissantes. Les habitans des rues écartées, ou des faubourgs, étaient accoutumés au mouvement qui se produisait de grand matin, ou le soir à la brune, autour de certaines maisons isolées[3]. Des gens de toutes mines, à pied, en carrosse ou en chaise, les

  1. Sermons pour le carême de 1662.
  2. Lettre du 29 mars 1680.
  3. Archives de la Bastille, par François Ravaisson, tomes IV, V et VI, passim.