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admirait, entre un autre écrivain, que l’on croit être Ménage. Mademoiselle commit la faute de lui montrer les vers et de lui en demander son avis sans lui nommer l’auteur. Il en sortit la scène de Vadius et Trissotin (d’abord « Tricotin, » de peur qu’on ne s’y trompât). Molière n’eut qu’à lui donner le coup de pouce du génie. Quant au sonnet à la princesse Uranie et aux vers sur le carrosse amarante, on sait qu’il les copia mot pour mot dans un volume[1]de l’abbé Cotin.

Il y eut encore les échos, très nombreux au Luxembourg, de la grande bataille littéraire du siècle[2], alors que le succès des premières tragédies de Racine irritait la portion du public, toujours nombreuse, qui a horreur d’être dérangée dans ses habitudes d’esprit par d’importunes nouveautés. C’est un supplice pour beaucoup de personnes, qu’il s’agisse de littérature, de science, ou de n’importe quel art. Les exemples n’en ont pas manqué dans le siècle qui vient de finir ; il suffira de rappeler ici les luttes à peine refroidies d’un Pasteur ou d’un Wagner. Racine arrivait en révolutionnaire. Il apportait, avec Molière et soutenu comme lui par leur ami Boileau, un art dramatique absolument neuf, séparé par un abîme de celui de Corneille, et auquel rien n’avait frayé les voies. Corneille avait derrière lui les Mairet, les du Ryer, et combien d’autres. Racine, personne. Il a été le premier, et le seul, à faire de la tragédie réaliste, où le sujet était simple, les caractères scrupuleusement vrais, la langue souvent audacieuse de familiarité. Louis XIV applaudissait. Racine et lui étaient faits pour se comprendre ; Henri Heine en a donné la raison dans l’un de ces mots qui éclairent toute une époque : — « Racine est le premier poète moderne, comme Louis XIV fut le premier roi moderne. » La jeune cour applaudissait avec le Roi, et sincèrement ; elle aussi appartenait aux temps nouveaux. Mais pour la vieille Cour, pour les survivans de l’hôtel Rambouillet, la tragédie de Racine était aussi choquante, aussi déplaisante, que le parurent les premiers romans naturalistes aux fidèles du romantisme.

Et par les mêmes raisons. Malgré la peine qu’ont aujourd’hui

  1. Œuvres galantes en vers et en prose de M. Cotin.
  2. Pour cette partie, cf. Les ennemis de Racine, par F. Deltour ; Les époques du Théâtre français, et les Études critiques sur l’Histoire de la littérature française, par M. F. Brunetière ; les Mémoires et Correspondances du temps ; la collection du Mercure Galant ; les préfaces de Racine, etc.