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certaine clarté, annoncent également un étranger. Effectivement, il est Luxembourgeois. Marié, gagnant 600 francs par mois, il demeure dans la banlieue, et je lui exprime le désir d’aller le voir. Loin de s’en formaliser, il en semble plutôt content, et me donne rendez-vous pour le dimanche suivant. Puis, il prend une de ses cartes dans une poche de sa blouse blanche, y crayonne des indications de tramways, me la remet, et j’y lis, au-dessous de ce qu’il y a écrit : Paul G…, Diamantaire, rue D…, Neuilly-Plaisance.

Le dimanche, à l’heure convenue, j’arrive à Neuilly-Plaisance, et là, à une centaine de mètres de la Marne, dans la rue et au numéro indiqués, au fond d’un jardinet précédé d’une petite grille encadrée de pilastres de briques, je vois une étroite maisonnette blanche, avec un petit balcon et un petit perron. Dans le même enclos, au pied même de la maisonnette, il y en a même une autre, mais encore beaucoup plus petite, vieille, basse, de la dimension d’une cabane, et d’où une vieille femme se dépêche de sortir en m’apercevant. Elle se précipite à ma rencontre, nie demande si je ne viens pas « pour Monsieur Paul, » et, sur ma réponse affirmative, disparaît du jardinet, où elle ne tarde pas à revenir avec « Monsieur Paul » lui-même.

— Voulez-vous m’excuser ? me dit alors le cliveur en me demandant pardon du négligé dans lequel il se présente…

Nous sommes en été, et il est en chapeau-cloche, sans cravate. avec sa pipe à la main.

Puis, avec une figure rayonnante :

— Eh bien ! voilà ma maison !

Et il m’apprend qu’il en est propriétaire. Pour quelques centaines de francs, il a d’abord acheté le terrain, et habité, les premiers temps, la petite masure qu’on voit près de la maison neuve. Ensuite, et petit à petit, il a lui-même bâti celle-là, en a lui-même fait le plan, lui-même gâché le mortier, et lui-même élevé les murs. Il a été son propre maçon, son propre couvreur et son propre charpentier. Quant à la vieille maisonnette, à celle où il a habité pendant qu’il bâtissait l’autre, il y loge maintenant un vieux ménage, et le vieux ménage, en retour, garde la petite propriété, que ne peut pas surveiller Mme G…, infirme, et condamnée à ne pas quitter sa chambre. Quelquefois, quand il fait très beau, elle descend seulement s’asseoir au petit jardin, ou prend l’air au petit balcon.