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s’était contenté de proposer Manau pour procureur de la République, et, soucieux de réserver la Première Présidence à un plus digne, l’avait demandée pour lui-même. Procureur général, il était à la merci d’un gouvernement incertain dans sa direction et dans sa durée, il sentait tout ce que l’inamovibilité ajoute de prestige et de mérite à une fonction, il vit l’avantage de changer celle qui peut-être lui serait reprise demain, contre celle qui lui apportait une propriété incommutable. Il pouvait exprimer ce désir, sans qu’il parût aspirer trop haut. L’ascension difficile était celle qui l’avait de la barre élevé au parquet de la Cour ; maintenant, il était de plain-pied avec le fauteuil de la Première Présidence et n’avait plus qu’à s’asseoir. Il avait donc sur son compétiteur tous les avantages, et il lui suffit de demander pour obtenir. La souple habileté des Gascons à saisir les chances de fortune ne fut pas plus souple en ce vainqueur qu’en son concurrent évincé. Manau, sans perdre son temps en bouderie contre l’auteur de sa déconvenue, comprit que la nomination du premier président ferait vaquer le poste de procureur général, que celui-là aussi était enviable, que Saint-Gresse ne manquerait pas de l’y pousser, heureux de faire largesse à son coreligionnaire avec une fonction abandonnée pour une meilleure. En effet, Manau devint procureur général. Dans ce changement, un autre encore trouva place, et Cousin fut nommé procureur de la République.

Telle fut, tandis que les Allemands s’avançaient sur Paris, la grande affaire de Toulouse ou du moins de ceux qui parlaient en son nom. Sans doute il fut aussi question de défense nationale, mais Duportal y pourvut par la distribution de fusils aux habitans reconnus pour républicains sûrs. C’est ce qu’il appelait « organiser la garde nationale pour la défense de l’ordre dans la République et pour la République. » Les seules mesures que les meneurs de Toulouse tiennent pour essentielles sont d’assurer l’avenir à leur parti, en s’assurant à eux-mêmes le pouvoir. Ils ont su se défendre contre les compétitions du dehors et se réserver la terre natale, ils ont réuni l’autorité politique, l’autorité judiciaire, en des mains presque toutes accoutumées à servir sous le nom de République la Révolution, et enfin la population la plus exaltée de la ville est seule en armes, en forces pour imposer à eux-mêmes les pires excès et appesantir le joug sur une majorité incapable de résistance.