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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/138

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Á TRAVERS LA MANDCHOURIE[1]

NOTES DE VOYAGE


I. — DE LA FRONTIÈRE SIBÉRIENNE A LA STATION DE MOUKDEN


Suis-je réellement en territoire chinois ? La Mandchourie appartient-elle encore à l’Empire Jaune ? Depuis que j’ai passé la frontière, voici bientôt deux jours, je n’ai pas remarqué le moindre changement. Tout est resté russe autour de moi. Notre train est conduit par des soldats moscovites. Aux stations, les chefs de gare sont des officiers ; les maisons d’alentour abritent des Cosaques. La ligne est tout du long gardée par des hommes armés et, si j’en crois les derniers rapports, la sécurité publique est encore très peu garantie. Il ne se passe guère de jours où quelque crime ne soit commis et les escarmouches sont fréquentes entre maraudeurs mandchous et troupes russes. Le chemin de fer lui-même est sans cesse menacé, les remblais sont démolis, les rails enlevés. On a pourvu notre train d’une escorte armée pour le défendre en cas de besoin.

Le chemin de fer de l’Est-Chinois (comme on l’appelle, pour qu’il ait quelque chose de chinois, au moins dans le nom) est une entreprise entièrement russe et nul n’ignore que son but tout

  1. Au moment où tous les yeux se tournent vers l’Extrême-Orient, nous avons cru qu’il pourrait y avoir quelque intérêt à détacher de nos Carnets de voyage, les notes que l’on va lire. Ce ne sont en effet que des notes, prises au jour le jour, sous l’impression prochaine des événemens et des lieux ; et nous serions presque tenté de nous en excuser auprès des lecteurs de la Revue des Deux Mondes, si nous n’espérions d’ailleurs que c’est précisément ce qu’ils en apprécieront le plus : l’air même d’improvisation, et le caractère d’entière sincérité.