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l’une particulièrement belle, haute de plus de sept étages, richement sculptée de tous les monstres de la mythologie chinoise et ornée de tout ce que l’imagination maladive de cette vieille race a pu inventer. Nous voyons aussi, en passant, quelques remarquables pierres commémoratives — blocs massifs dressés sur d’énormes tortues — qui relatent les exploits des héros défunts du pays. Les fermes devant lesquelles nous passons révèlent les ressources agricoles de la contrée, et je trouve que les villages ne sont pas dépourvus d’intérêt au point de vue sociologique. Je n’ai jamais vu de bâtimens plus délabrés ni tant d’enfans jouant devant les portes des maisons ; celles-ci étant généralement en petit nombre, la population semble être sortie du sol, ainsi que poussent les champignons.

Nous rencontrons beaucoup de charrettes, de piétons, d’étranges équipages et d’étranges cavaliers, et enfin un mandarin voyageant en cérémonie. Le personnage est porté dans une litière tendue de soie verte brodée, tandis que tout son bagage, emballé dans des caisses de laque merveilleuse, va à des d’hommes. Sa suite et ses domestiques l’escortent en une longue file et tous les emblèmes de sa dignité, — étendards, lanternes chinoises, parasols et bannières couvertes d’inscriptions, — sont portés devant lui. Son Excellence est protégée par un détachement de soldats indigènes, drapés dans des manteaux cramoisis, un losange de velours avec une inscription chinoise cousu sur la poitrine et dans le dos. Il faut avouer que bien des détails de cette pompe sont très misérables : le dais de la litière est déchiré et passé, le velours des uniformes incrusté de boue, les bannières en loques, et pourtant l’ensemble du groupe offre un des spectacles les plus artistiques que j’aie jamais rencontrés. La manière asiatique d’exprimer le faste est certes très impressionnante. Un mandarin de second ordre, voire un fonctionnaire à peu près équivalent à un percepteur, a un cortège de suivans et de soldats qui comprend jusqu’à plusieurs douzaines d’hommes ; tandis que dans les pays occidentaux, notre plus grand appareil ne va qu’à avoir deux valets de pied debout derrière la voiture dans les grandes circonstances.

J’ai déjà déclaré que dans mon voyage de Moukden le retour n’avait rien à envier à l’aller, et pourtant, au moment où j’écris ces lignes dans mon confortable wagon, maintenant que tout cela est passé, il me semble que mon aventure doit être