Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/182

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’était là un avantage qu’on tenait beaucoup à se procurer.

Mais Tibur, séjour des poètes et des esprits délicats, théâtre des entretiens discrets et des repas finement enjoués, ne pouvait convenir à toute la société romaine. Parmi le monde élégant, combien de jeunes gens, combien même d’hommes mûrs, préféraient à ce lieu paisible un lieu de plaisirs, de gaieté bruyante, de fêtes sans cesse renouvelées, comme Baies et ses environs ! La Campanie ne devait pas tarder à attirer tous ces amateurs de vie facile et luxueuse. Nous avons vu commencer la mode au temps de Cicéron. Sous Auguste elle fait de rapides progrès. Désormais, et pendant les deux premiers siècles de l’Empire, il est de bon ton d’aller passer l’arrière-saison sur les bords du golfe de Pouzzoles, et tout riche qui se respecte y possède une villa. La côte du Pausilippe, ou de « Sans-Souci, » est appelée de ce nom par le débauché Védius Pollion, celui-là même qui engraissait les murènes de ses viviers en leur jetant comme nourriture ses esclaves. A sa suite, beaucoup d’autres viennent oublier sous ce ciel enchanteur les soucis de leur frivole existence. De Naples à la pointe du cap Misène, c’est, autour des flots, comme une ceinture ininterrompue d’habitations magnifiques. Chacun est de l’avis du personnage d’Horace : « Rien au monde vraiment n’égale les charmes de la mer de Baies. »

Mais on ne se contente pas de bâtir des villas sur le rivage. A la longue, cela devient trop banal. Il faut faire mieux. On veut étonner, éblouir ; et ici se révèle la passion des Romains pour l’extraordinaire. Je ne parle pas des folies d’un Caligula, qui, hanté par les souvenirs des despotes orientaux, fait couvrir le golfe de Pouzzoles d’un pont avec une large chaussée et, le premier jour, y passe à cheval, suivi de toutes ses troupes, enseignes déployées, le lendemain y donne une course de chars qu’il conduit en personne sous la casaque du cocher. Les riches particuliers de l’époque, sans être des Galigulas, cherchaient, eux aussi, à réaliser des fantaisies bien insensées. On jetait dans la mer, comme autrefois Lucullus, d’énormes digues, de façon à installer un palais, loin de la terre, au milieu même des flots. Il est vrai que les passions de ces maîtres capricieux étaient aussi changeantes que les nuages, et à peine la villa commençait-elle à se dresser au-dessus des vagues que, déjà dégoûtés, ils envoyaient leurs ouvriers en construire une autre dans la montagne. Bientôt, ce fut l’Italie entière, du sud au nord, depuis