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devant leur unisson, tantôt devant leurs accords. Mais il est un instrument ou plutôt un organe sonore, et vraiment d’église, dont cet orchestre a reconnu et subi volontairement ici la souveraineté sainte : c’est la cloche. Lamennais, dans sa Philosophie de l’art, avait défini le caractère grandiose et surnaturel de la cloche ; Wagner, dans Parsifal, l’a rendu sensible et magnifiquement réalisé. Extérieure à l’église, la cloche lui apporte, afin qu’elle les unisse à celles de l’humanité, les voix de la nature ou de l’univers, de ces dehors dont elle vit elle-même environnée : voix de la terre, au sein de laquelle elle fut arrachée ; voix du ciel, dans lequel elle se balance ; voix de la plaine, de la montagne et de la forêt, de l’horizon enfin, que, du haut de sa tour, elle domine et qu’elle emplit tout entier de ses ondes. Cloches de deuil ou de fête, de mort ou de nativité : couvre-feu mélancolique ou tocsin meurtrier des Huguenots ; à l’autre extrémité et comme au pôle opposé de notre art français, dans Fra Diavolo, gai carillon de Pâques fleuries ; cloches fidèles de Moerling, qu’en un de ses lieder les plus touchans Liszt écoutait pieusement et déjà de si loin ; cloches imitées par l’orchestre, par le piano même accompagnant la voix, ou cloches véritables ; cloches des cathédrales ou des chapelles, des cités ou des hameaux, jamais jusqu’à Parsifal vous n’aviez sonné, chanté, prié ainsi. Jamais vous n’aviez été les interprètes ou les annonciatrices d’une foi si robuste et d’un si tendre amour ; jamais surtout vous n’aviez donné l’idée et l’exemple de ce que la musique à l’église pourrait vous devoir de grandeur religieuse et de liturgique beauté.

Et jamais non plus, à l’église, les chants ne furent depuis longtemps aussi purs, aussi pieux. On l’a fait observer avec justesse : dans les parties religieuses de Parsifal, Wagner s’est proposé, voire imposé, d’ « éviter toute harmonie pathétique et toute mélodie sentimentale[1]. » Or, pour y réussir, il n’a pas trouvé de plus sûr moyen que de revenir — sans rien sacrifier pourtant de son génie moderne — de revenir, par un libre mais fidèle retour, aux deux formes par excellence de la musique d’église : la monodie grégorienne et la polyphonie alla Palestrina.

Parmi les thèmes sacrés de Parsifal, celui qu’on peut nommer le principal, parce qu’on l’entend le premier et qu’il surpasse tous les autres en ampleur comme en beauté, ce thème approche de près du type grégorien. Il en possède les caractères essentiels. A peine

  1. Parsifal, de Richard Wagner, par M. Maurice Kufferath. Paris, 1890 ; Fischbacher.