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accompagné, par un sourd et monotone roulement de timbales, il n’est que mélodie ; il n’existe et ne vaut, du moins en son premier étal, que par la succession et non par la combinaison des notes. En outre il évolue, il se développe avec tant de lenteur, que la mesure en devient pour ainsi dire insaisissable. Elle se fond, elle se perd dans un rythme très large, un peu lâche, et qui enveloppe, au lieu de la partager, l’immense période tout entière. Et cela aussi est de style grégorien. Une certaine asymétrie générale de la phrase fortifie ce caractère. Il n’y a pas jusqu’à la tonalité ou, pour parler plus exactement, jusqu’au mode, qui n’y ajoute encore. C’est le mode hypolydien pur, un de ceux qui de la musique antique ont passé dans le plain-chant[1]. Ce thème enfin, — si nous le prenons toujours à son origine, avant qu’il s’anime et se dramatise au contact de la passion et de la douleur humaines d’Amfortas, — ce thème est doué d’une expression ou d’un éthos vraiment surnaturel et comme divin. Aussi Wagner l’a-t-il choisi pour traduire les paroles de la consécration : « Prenez et mangez, ceci est mon corps. Prenez et buvez, ceci est mon sang ; » paroles saintes entre toutes, si redoutables à la musique, qu’elles lui sont même interdites par la liturgie, et que, dans la réalité du sacrifice, le prêtre les parle à peine et les prononce tout bas. Sébastien Bach les avait chantées avant Wagner. Mais le musicien de Parsifal l’emporte ici sur celui de la Passion selon saint Matthieu, et c’est l’honneur du génie ou de l’idéal grégorien, qu’une mélodie qu’il inspira nous paraisse, plus que toute autre, digne du plus grand de tous les mystères et de tous les miracles chrétiens.

C’est une mélodie à l’unisson. Et le chœur des chevaliers, sur un rythme de marche, est un unisson aussi. Mais à ces chants homophones d’admirables polyphonies vocales répondent et font équilibre. Partout, en ces pages véritablement liturgiques, partout et toujours dominent les voix. Les voix, non l’orchestre, expriment tous les degrés et comme tous les modes de la prière, de la méditation, de l’adoration et de l’extase. Elles ne font pas autre chose que prier. Mais comme elles prient ! Comme leur oraison, qui tout à l’heure se rassemblait pour ainsi dire en une seule coulée sonore, se divise maintenant, se décompose en accords subtils et en atomes harmonieux ! Durch Mitleid wissend, Der reine Thor ! Rappelez-vous quel mystérieux et mystique soupir promet au martyre d’Amfortas le sauveur « innocent et pur, instruit par la pitié ! » Telle autre phrase, polyphonique aussi, l’est

  1. M. Maurice Kufferath.