Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

auquel il est difficile de refuser l’originalité, la nouveauté, et l’indépendance. Aussi bien il serait aisé, en reprenant les divers passages cités plus haut, de montrer tout ce que Wagner a su introduire de son âme et de la nôtre, de notre âge et du sien, tantôt en des mélopées issues du plain-chant, tantôt en des accords inspirés de Palestrina.

Voilà ce que la musique a fait hier pour la représentation de l’église au théâtre. Pourquoi ne le ferait-elle pas demain à l’église et pour l’église même ? Alors on saura ce que peut être un art vraiment liturgique et comment il peut l’être : par le sentiment et le respect de la parfaite convenance, sans laquelle il n’est pas de beauté parfaite, et par l’accord, invariablement cher au christianisme, de la tradition avec le progrès et de la discipline avec la liberté.

Maintenant, au moment de conclure, il n’est pas inutile de prévenir une objection, pour y répondre, une équivoque même, afin de la dissiper. Rien ne serait plus contraire à notre dessein, — à peine avons-nous besoin de le dire, ou de le répéter, — non pas que d’introduire la musique dramatique à l’église, puisque, hélas ! elle y a pris place, mais que de l’y fortifier. Entre le sanctuaire et la scène, nous demandons plus que jamais que rien ne soit commun : non seulement les morceaux profanes, tels que l’entr’acte de l’Arlésienne, l’intermezzo de Cavalleria rusticana, la marche d’Alceste, le Preislied des Maîtres Chanteurs — fût-ce le « Sommeil de la Walkyrie ; » — mais les passages même les plus religieux, presque les plus liturgiques, des opéras que nous venons d’analyser. Nous ne conseillons pas à nos curés et à nos maîtres de chapelle d’emprunter un Te Deum au Roi d’Ys ou au Prophète, et nous aimerions pouvoir interdire à nos organistes d’accompagner avec les motifs de Parsifal l’offertoire ou la communion. De quoi s’agit-il donc ? Tout simplement de ceci, que nous annoncions tout à l’heure et que nous voudrions avoir démontré : c’est que le théâtre, quand il l’a fallu, s’est renoncé lui-même, pour se faire, en quelque sorte, l’église qu’il avait le devoir et l’honneur de figurer. Il a dépouillé le caractère mondain, profane, théâtral en un mot, que l’église au contraire n’a pas honte d’affecter ou de revêtir. Ainsi la représentation ou la fiction des choses saintes est devenue plus sainte et plus vraie que leur réalité. Cela suffit peut-être pour qui ? la musique d’église reçoive de la musique de théâtre, — nous parlons de la plus grave, de la plus pure — de piquantes et justes leçons.


CAMILLE BELLAIGUE.