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question des droits respectifs de l’État et de l’Eglise sur l’éducation des prêtres était ainsi soulevée ; elle occupera l’Allemagne durant de longues années. De théologique, l’affaire de l’hermésianisme allait devenir politique ; car l’Etat prussien, tout de suite, ne fût-ce que pour affirmer son droit, prit conscience d’avoir une opinion philosophique : il ferma, six mois durant, les cours de Münster, afin de contraindre les clercs de ce diocèse à chercher la science ailleurs, et déclara non avenue la prohibition ecclésiastique. Hermès était d’autant plus en faveur à Berlin, qu’il avait naguère, dans un différend d’ordre canonique entre le grand vicaire et le ministère, écrit un opuscule en faveur de l’Etat. On était alors en 1820 : Bonn, dans les années qui suivirent, devint un centre d’hermésianisme ; la Faculté de Breslau, le séminaire de Trêves, furent également conquis. Au bout de quelques années, trente chaires environ, dans les diverses Universités, étaient aux mains des hermésiens. L’archevêque de Cologne, Spiegel, donnait, pour la forme, quelques bonnes paroles au philosophe laïque Windischmann, qui polémiquait contre l’hermésianisme, et puis il reconduisait, et finissait par afficher sa tendresse pour cette philosophie qu’on aimait à Berlin. Quant à l’évêque de Trêves, « brave homme s’il en fut, » Goerres nous raconte qu’en toute innocence de cœur il considérait l’hermésianisme comme le salut du monde ; et c’est en vain que Windischmann s’acharnait sur Hermès, l’évêque, lui, s’imaginait toujours que les deux penseurs étaient d’accord ! Hermès mourut couvert de gloire : l’affiche qui prévint de sa mort les étudians de Bonn annonçait qu’avec lui disparaissait le premier coryphée de la théologie catholique, et l’une des plus claires lumières de la philosophie allemande, et que l’Eglise, la science, l’Etat, lui devaient des prêtres d’élite, des savans éminens, des citoyens fidèles. Il demeurait, même dans la tombe, par ses nombreux disciples, le précepteur véritable des intelligences ecclésiastiques dans le royaume de Prusse. Rome allait rendre ces intelligences orphelines. Grégoire XVI, par un bref de 1836, condamna l’hermésianisme. On vit alors le vicaire capitulaire Hüsgen, qui depuis la mort de Spiegel administrait l’archidiocèse de Cologne, serrer le bref en son tiroir et commander le silence, parce que ce document pontifical ne lui avait pas été transmis par le canal légal de l’administration berlinoise ; l’hermésianisme, à Bonn, parla de plus en plus haut ; et Bunsen, à Rome, se félicitait des