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contre mauvaise fortune bon cœur. « Il ne faut pas attacher trop d’importance à ce latin de cuisine, » écrivait Nagler. Mais sous la plume de Goerres, ce « latin de cuisine » allait devenir du bon allemand. Goerres, en quatre semaines, griffonnait une longue brochure qu’il intitulait Athanasius : il y commentait Grégoire XVI à l’Allemagne, et le commentaire était foudroyant. Deux théologiens, Doellinger et Moehler, deux juristes, Moy et Phillips, avaient rédigé une consultation sur l’incompatibilité de la convention de 1834 avec le bref de 1830 : Goerres la publiait, telle quelle, et l’encadrait de son éloquence. « L’Eglise, disait-il, n’a pas été chercher l’Etat ; c’est lui, au contraire, qui, né après elle, est venu la trouver ; elle habitait la maison avant lui, et l’y a reçu, à la condition qu’il garderait la paix, et vivrait en union avec elle. » Le plan qu’il traçait était celui d’une sorte d’« union hypostatique entre l’Église et l’État, telle que jadis avait essayé de la réaliser la chrétienté, « fille unique en deux natures. » L’Église, pendant des siècles, avait été le type de « la possibilité d’unir d’une manière durable la liberté donnée par Dieu à la nature humaine, avec l’assujettissement à la loi, que Dieu lui a imposée ; » elle avait, tout ensemble, en un harmonieux mélange, maintenu une certaine activité de l’esprit, et une certaine passivité de l’âme. Mais le rationalisme avait surgi, ne s’occupant que de déchaîner l’esprit, et le piétisme avait surgi, ne s’occupant que d’asservir l’âme ; ils avaient, l’un et l’autre, brisé cet équilibre qu’avait maintenu le catholicisme ; ils avaient agi comme deux poisons, l’un corrosif, l’autre narcotique ; et ces frères ennemis avaient aidé l’État contre l’Église. L’existence des concordats et des déclarations organiques exposait les deux pouvoirs à de perpétuels conflits ; le clergé ne connaissait que les concordats, et les fonctionnaires civils ne connaissaient que les articles organiques : c’était un chaos de mésententes et de contradictions, où la force seule mettait une apparence d’ordre. La force était à l’œuvre ; appliquant au bref de 1830 « la méthode d’exégèse que le protestantisme emploie pour les livres saints, » le roi de Prusse voulait dompter l’archevêque qui résistait à cette méthode, et se flattait d’avoir raison de lui par la prison. Des prêtres surviendraient, peut-être, pour étayer les maximes royales ; « puisqu’une postérité immortelle a été donnée aux onze apôtres, le douzième aussi, qui était un voleur, a dû avoir la sienne. » Mais qu’importeraient ces prêtres ?