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contre l’Église, L’État prussien se flattait de pouvoir compter, pour couronner sa victoire, sur le mutisme universel. Les lettres de Nagler, directeur des postes, dévoilent avec candeur les espérances dont se leurrait alors la bureaucratie berlinoise ; il n’y avait pour lui, dans l’affaire de Cologne, qu’une « saleté » (Schweinerei) organisée par des vauriens fanatiques (fanatische Schuften). « Dieu permette, écrivait-il le jour de l’arrestation, que le menuet avec l’archevêque se passe bien ! » Et peu de jours après : « Le voilà à Minden ; la levée de boucliers des prêtres finira sans grand bruit, sans autre bruit.


VIII

C’était compter sans Rome et sans les laïques : Grégoire XVI déchaîna le tumulte. De Bavière, on l’avait informé des procédés de la Prusse : Reisach, évêque d’Eichstädt, et le roi Louis Ier lui-même, avaient concerté ces communications. Le Pape, sitôt instruit, convoqua un consistoire ; et, le 10 décembre, en présence du Sacré-Collège, il éleva la voix, longuement, fortement. Au nom de « la liberté ecclésiastique diminuée, de la dignité épiscopale tournée en dérision, de la juridiction canonique usurpée, des droits de l’Église foulés aux pieds, » Grégoire XVI exalta le prélat que la Prusse venait de déposer. L’impression produite fut immense. On savait Grégoire XVI audacieux contre tout ce qui lui semblait être l’erreur, mais on le croyait timide à l’endroit des puissans. Docile au prestige du génie, le monde inclinait à juger Grégoire XVI d’après Lamennais. La parole du Pape, qui affrontait la politique religieuse du roi de Prusse, ne pouvait être accusée, cette fois, de complaisance à l’endroit des trônes. La réponse qu’il adressait au chapitre de Cologne, en date du 26 décembre, dépassait encore l’âpreté du discours : c’était une remontrance draconienne contre l’attitude des chanoines. Montalembert exultait ; il confrontait le langage pontifical avec les accusations de Lamennais : « Désormais, écrivait-il, les âmes les plus défiantes, les plus irritées, sauront à quoi s’en tenir sur ces reproches de servilité, de lâcheté, de connivence avec les oppresseurs de la religion, que l’on a jetés à la face de la cour de Rome. » C’est ainsi que l’acte d’autorité qu’avait osé Grégoire XVI était salué comme un acte de liberté.

La bureaucratie prussienne essaya, tout d’abord, de faire