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soumettre la Perse à son influence sans brusquer les choses, sans intervenir militairement, le seul moyen était de la pénétrer de tous les côtés, par toutes ses frontières, maritimes et continentales. C’est ce que la Russie avait entrepris : elle tenait en réserve des projets de chemins de fer qui devaient pénétrer la Perse par le Nord ; il ne restait qu’à donner le premier coup de pioché ; mais des raisons politiques s’y opposaient, avant même que la guerre vînt détourner l’effort des Russes d’un autre côté.

L’Angleterre était encore trop influente à Téhéran : si la Russie avait poussé ses rails au Nord, on aurait vu aussitôt’ l’Angleterre poser les siens au Sud. La Russie devait compter avec cette situation. Quant aux frontières maritimes, l’Angleterre était, depuis longtemps, maîtresse absolue du golfe Persique ; elle n’y rencontrait pas de concurrente. La Russie comprit la nécessité de porter la lutte de ce côté ; si elle était parvenue à enlever sa souveraineté à l’Angleterre, et à faire pénétrer les articles d’exportation russes en Perse par Bouchir et par Abbas, elle se serait considérablement rapprochée de son but ; elle aurait hâté cet accaparement économique de la Perse auquel travaillaient tous ses agens, auquel concouraient tous ses efforts.

Dans ces dernières années, une autre raison était venue s’ajouter aux précédentes pour engager la Russie à se hâter. La Deutsche Bank avait obtenu la concession du chemin de fer de Bagdad. A peine cet établissement financier allemand avait-il remporté ce succès qu’on vit la Russie lancer des foudres. Elle commença par refuser la participation qu’on lui offrait dans l’entreprise ; puis elle pesa de tout son pouvoir sur la France. pour la décider à en faire autant, convaincue que les Allemands, livrés à eux-mêmes, ne viendraient pas à bout de l’entreprise. Les choses en restèrent là ; mais il paraît probable que l’affaire se fera. Cette éventualité donnait sérieusement à réfléchir à la Russie et la poussait à précipiter les choses du côté de la Perse. Si la route continentale Bagdad-Bassorah tombait entre les mains d’un syndicat franco-allemand ou, à plus forte raison, allemand tout court, ce serait la Russie écartée du golfe Persique, ou tout au moins devancée par le commerce étranger. par les capitaux étrangers, sur cette mer qu’il lui importe de disputer à l’influence exclusive de toute autre puissance, et même de dominer.