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sans cesser de garder intacts la fraîcheur et le velouté de sa foi. La Terreur est en permanence. La foule prend le goût du sang. Les atrocités se multiplient. Et il se trouve dans cette ville souillée et furieuse un coin d’innocence où des femmes, aux noms aussi purs qu’elles-mêmes, Diane, Pie, Bartolomée et Tobia, environnent et protègent l’enfance immaculée du petit Bernardin de Sienne. Les œuvres charitables, dont cette ville est justement fière, n’ont jamais été plus actives. C’est en soignant les pestiférés de l’hôpital de la Scala que meurt le bienheureux Bernard Toloméi, fondateur des Olivétains. C’est là que le bienheureux Jean Colombini, fondateur des Pauvres Gésuates, fait l’apprentissage de la sainteté. Le bienheureux Pietro de’Pie-troni n’est pas mort, quand déjà se révèlent les sublimes vertus de sainte Catherine. Et l’année même où s’éteint celle-ci voit la naissance de saint Bernardin. Peu de villes au monde peuvent se glorifier d’une pareille couronne mystique.

On ne saurait exagérer l’action de ces grandes âmes. D’ailleurs la piété de Sienne est une seconde forme de son patriotisme. Le peuple se vante de deux choses : l’antiquité de ses origines, et la protection de la Vierge. Sienne est Sena Vêtus Civitûs Virginis. Renoncer à ce titre serait se renoncer soi-même. Par lui Sienne est invulnérable, invincible, à l’abri des épreuves, défendue de ses ennemis, pardonnée de ses propres fautes. Car pour le Siennois la Vierge n’est pas seulement une souveraine idéale : il l’a contemplée réellement et vue de ses yeux. La veille de Montaperti, les soldats qui campaient autour des feux de bivouac aperçurent, comme le ciel était bas, la blancheur de sa robe traîner au milieu des nuées…

Dans cette ville si pieuse, personne d’aussi pieux que les peintres. Leur art s’était longtemps conservé dans les cloîtres : même laïcisé, il lui en reste encore comme une ombre religieuse. Ils n’ont, de leur vie, guère autre chose à faire que des décorations d’église. Le tableau qu’ils exécutent est destiné à la vénération sur un autel, dans la paroisse où ils iront dormir à côté de leurs frères endormis. L’image qu’ils composent de leurs mains sera contemplée par les pauvres et les petits : sous ces traits les fidèles rêveront la béatitude des saints, et les humbles en recevront la forme de leurs espérances. Au commencement de leurs statuts, les peintres de Sienne exposent leur mission en ces termes : « Le peintre est l’homme choisi par la grâce de Dieu